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sont destinées sans doute à un si grand avenir, des religieux français répandent notre influence et notre civilisation, étudient les idiomes locaux, préparent la route aux commerçans et aux colons. Il faut bien, d’ailleurs, que les missionnaires de M. Lavigerie s’enfoncent de plus en plus au cœur de l’Afrique, car on les chasse des possessions françaises comme des proscrits et des parias. Dans l’empressement d’assurer la suprématie de l’enseignement laïque, on a violemment fermé les écoles qu’ils avaient fondées en pleine Kabylie, dans les montagnes du Jurjura, où ils faisaient connaître notre langue et nos mœurs. Puis, on a travaillé avec une telle lenteur à l’ouverture des établissemens laïques destinés à les remplacer, qu’ils ne sont point encore organisés, il en est résulté une sorte d’interrègne qui dure depuis plus d’un an. Aussitôt la société biblique de Londres, dont le zèle n’a pas toujours beaucoup de sagacité, s’est imaginé que la suppression des écoles congréganistes était un grand échec pour la cause catholique, et que, naturellement, c’était la propagande protestante qui devait en profiter. Elle a donc acheté une propriété pour établir un dépôt de bibles et autres livres religieux, et fait traduire l’évangile de saint Mathieu en langue berbère afin de le distribuer aux montagnards. Voilà au profit de quel prosélytisme belliqueux nous avons détruit l’œuvre purement civilisatrice de M. Lavigerie! On répète bien souvent, chez nous, que les missionnaires protestans n’ont pas la maladresse des nôtres, qu’ils travaillent beaucoup plus à répandre le commerce anglais que leur foi religieuse. Ce qui se passe en Kabylie est la preuve du contraire. Tandis que M. Lavigerie, esprit aussi indépendant qu’actif et généreux, voulait faire des Kabyles des hommes civilisés avant de leur offrir le baptême; tandis qu’il ne leur disait pas un mot du catholicisme dans ces écoles uniquement françaises que la France a renversées, la société biblique de Londres inaugure son entreprise par une traduction de l’évangile de saint Mathieu! Peu importe! on n’en continuera pas moins à répéter à la chambre et dans la presse que nos missionnaires sont des fanatiques dédaigneux des intérêts nationaux et que les missionnaires anglais mettent la patrie et la civilisation au-dessus de la foi. Il faut n’avoir jamais fait un pas hors de France pour soutenir une pareille absurdité. Il y a quelques mois, je causais à Constantinople avec M. de Sarzec, l’heureux et courageux explorateur dont les admirables trouvailles ont enrichi notre musée assyrien d’objets si précieux. Il me parlait des chefs arabes avec lesquels il vit : « Presque tous, me disait-il, connaissent la France et la regardent comme la plus grande nation de l’Europe. Beaucoup d’entre eux savent même aujourd’hui le français. C’est que, depuis quelques années, un certain nombre de dominicains se sont fixés à Mossoul,