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expédient leurs marchandises jusqu’en Amérique, en Chine, en Australie. Près de là, seize hauts-fourneaux produisent 300,000 tonnes de fonte d’affinage. Les fours à puddler, les laminoirs occupent huit mille ouvriers. A la grande industrie métallurgique viennent se rattacher les fonderies, les fabriques de clous, de boulons, de rivets, de ressorts de voitures, La célèbre usine de Couillet reçoit le minerai de fer, le fond, le travaille, le façonne et le transforme en locomotives. Sur la rive droite de la Meuse, à deux lieues en amont de Liège, une usine plus vaste encore et l’une des plus considérables du monde, s’étend sur un espace de plus de 100 hectares, et l’on s’étonne de voir prospérer un si grand établissement dans un si petit pays. Si le dernier prince-évêque de Liège, que dépouillèrent de ses états la révolution française et Dumouriez, revenait faire un tour dans son palais d’été de Seraing, il aurait peine à le reconnaître. Ces princes-évêques étaient de joyeux souverains, que le souci de la vie à venir ne rendait point indifférens aux choses d’ici-bas et qui aimaient à anticiper sur les délices du paradis. Ils ne retrouveraient plus à Seraing leurs meutes et leurs chenils, leurs immenses écuries, ni le portrait de leurs maîtresses. Mais ils pourraient revoir sur l’un des frontons de leur château une fière sculpture qui représente Proserpine se débattant dans les bras de son ravisseur. Ils pourraient constater aussi que depuis eux la cuisine n’a pas dégénéré, que leurs caves, qui les ont oubliés, continuent à se garnir des vins de Bourgogne les plus exquis.

Ce fut en 1817 qu’un Anglais, John Cockerill, acquit le château de Seraing, terres et dépendances, et y installa les services nécessaires à la construction des machines à vapeur et des machines de filature. La société anonyme qui a repris la succession de ses affaires leur a donné un prodigieux développement. Elle a ses houillères, ses fours à coke, sa fabrique de fer, ses forges et martelages, ses aciéries, ses ateliers de construction Elle emploie 11,000 ouvriers, et les salaires qu’elle paie chaque année s’élèvent à plus de 10 millions de francs. La force motrice produite par ses 337 machines est d’environ 15,000 chevaux. Elle consomme chaque jour 1,400,000 kilogrammes de combustible. Elle a des minières en Espagne comme en Algérie et une flottille de steamers qui lui servent à opérer ses transports. Elle possède à Anvers un chantier où elle peut construire les plus grands navires ou les recevoir en cale sèche. Ce qu’il faut admirer surtout, c’est la tenue de ce bel établissement, l’exacte discipline qu’on y observe. Le sort de l’ouvrier n’y a point été négligé. On a mis à sa disposition des réfectoires d’une irréprochable propreté, un hôpital, une pharmacie, un orphelinat, des caisses d’épargne, de secours et de pensions, des écoles que les incultes sont tenus de fréquenter. Le très habile directeur de Seraing, M. Sadoine, nous disait : « Outre le pain qui nourrit, trois choses sont nécessaires à l’homme, l’air, la lumière et l’ordre.