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LA
BELGIQUE EN 1883

On ne peut penser à la Belgique sans se représenter un pays libre, paisible, prospère, et on ne peut la visiter sans acquérir la conviction que, dans le riche coin de terre qu’arrosent l’Escaut et la Meuse et qui nourrit plus de cinq millions d’habitans sur moins de trois millions d’hectares, vit un peuple aussi heureux qu’il est permis de l’être dans ce bas monde où rien n’est parfait, où les plus pures satisfactions laissent toujours quelque place aux regrets, aux inquiétudes aux ennuis rongeurs. Les Belges ont été favorisés par la destinée comme par la nature, et le bonheur est toujours plus facile pour les petits peuples. Ils ne sont pas condamnés aux dépenses improductives, ils ne sont pas tenus d’être sans cesse en représentation, la partie théâtrale de l’art de gouverner leur est épargnée, on les autorise à vivre comme de petits bourgeois qui proportionnent leur train de maison à leurs ressources. Ils n’ont pas non plus à s’ingérer dans les affaires des autres, et rien n’est plus coûteux que les affaires des autres. Ils laissent aux puissans de la terre le soin de donner au monde une histoire. Quand il s’engage quelque grande partie, ils tirent sagement leur épingle du jeu, se renferment dans une politique d’abstention, rentrent bien vite dans leur coquille. On n’exige d’eux que les vertus qui font les ménages paisibles et bien réglés. On leur pardonne d’être égoïstes, de n’avoir que des amitiés circonspectes et prudentes, qui se gardent bien de s’exposer. Ils ont le droit, comme le chœur antique, d’assister aux catastrophes sans s’émouvoir, de raisonner sur les événemens, de moraliser sur les vainqueurs et les vaincus, en s’écriant : « Malheur à qui s’élève! La paix n’habite que sous les petits toits. »

La Belgique a sur d’autres petits pays un précieux avantage : son bonheur est protégé contre toute atteinte par sa neutralité reconnue de toute