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dans une lettre à Bezborodko, son ambassadeur à Vienne : « Il faut être aussi sot que le maître de ce long Keller (ambassadeur de Prusse à Saint-Pétersbourg) pour croire à toutes les bourdes que le roi de Prusse s’est laissé conter… »


III.

Au printemps de 1789, la guerre reprit en Orient. La diète polonaise, sous la pression secrète de la Prusse, avait refusé l’alliance russe, et on s’était repris à espérer à Berlin. Toutes les instructions que le département des affaires étrangères faisait tenir à Dietz peuvent se résumer en celle-ci : obtenir de la Turquie qu’elle ne fasse la paix que par la médiation de la Prusse. Les Turcs, cependant, se montraient peu enclins à accepter ces offres. Ils recevaient froidement les propositions de Dietz, le remerciaient de ses bons offices et répondaient invariablement : Que la Prusse commence par déclarer la guerre à l’Autriche ; sur le reste, nous tomberons facilement d’accord.

Hertzberg avait envoyé en Turquie le colonel de Gœtz pour diriger les opérations militaires des Turcs. La Porte, méconnaissant la grandeur de ce nouveau bienfait, n’avait pas même permis à ce colonel de gagner le camp. Bref, au bout de deux ans de démarches sans nombre, Dietz se trouvait tout juste au même point que le premier jour. En mai 1789, le cabinet de Berlin se décida à faire un pas en avant : il fit dire aux Turcs que le roi entrerait en campagne, — après qu’ils auraient été rejetés de l’autre côté du Danube ; il s’engageait en outre à garantir l’intégrité du territoire ottoman, — mais seulement tel qu’il se trouverait à la fin de la guerre.

Malgré les revers des armées turques dans cette année 1789, cette nouvelle avance ne fut pas mieux reçue que les précédentes. Bien plus, le grand-vizir entra bientôt en pourparlers directs avec Potemkin et on put craindre un instant que ces « Turcs ignorans et incorrigibles, » comme Hertzberg aimait à les appeler, ne missent à conclure la paix la même précipitation qu’ils avaient mise à déclarer la guerre. Cependant la Prusse s’était trop avancée pour reculer. Après de nouvelles instances demeurées sans résultat, Dietz reçut l’ordre d’offrir à la Porte un traité offensif et défensif sans restriction d’aucune sorte. La Prusse arrivait ainsi aux termes de ses concessions : l’ambassadeur, voyant l’ardeur des Turcs s’accroître avec leurs défaites, espérait bien que, cette fois, les négociations seraient poussées activement. Chose étrange ! Les Turcs accueillirent cette proposition tout aussi froidement que les précédentes.

Dietz se perdait en conjectures. Il était bien loin de soupçonner le véritable motif de l’indifférence apparente de la Porte. Le drogman de l’ambassade de Prusse avait livré les instructions de Dietz à l’ambassadeur