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la main au corps autrichien qui opérait en Galicie ; l’autre, commandée par Potemkin en personne et forte de quatre-vingt mille hommes, s’emparerait des forteresses du littoral de la Mer-Noire jusqu’aux bouches du Danube, et couvrirait la Crimée au cas que les Turcs voulussent l’attaquer par mer. Enfin un corps de dix-huit mille hommes opérerait au Caucase sous les ordres de Tœxel.

Roumiantsof avait trop peu de troupes pour agir. Quant à l’armée principale, tout lui manquait ; elle pouvait dire avec le prince de Ligne : « Si nous avions des vivres, nous marcherions en avant ; si nous avions des pontons, nous passerions les rivières ; si nous avions des boulets et des bombes, nous assiégerions les villes. » Bien longtemps après la déclaration de guerre, Potemkin était encore à Élisabethgrad, c’est-à-dire fort loin des Turcs, et il y restait malgré les instances de l’impératrice. Sauf quelques rencontres en Crimée, où Souwarof faisait ses premières armes, les premiers mois de la guerre s’écoulèrent sans aucun résultat pour les Russes.

Il n’en était pas de même en Autriche. Avant même d’avoir déclaré la guerre à la Turquie, et bien que celle-ci eût proposé de respecter les frontières autrichiennes si l’empereur se contentait de fournir à la Russie le secours promis, Joseph II avait tenté sur Belgrade un coup de main qui n’avait réussi qu’à le couvrir de honte. Il ne déclara formellement la guerre que le 9 février 1788. Une armée autrichienne de vingt-cinq mille hommes se trouvait prête à marcher sous les ordres de Lascy, qui, depuis la guerre de sept ans, passait pour un des meilleurs gêné, aux de l’Europe. Avec un chef pareil et des lieutenans tels que Cobourg Clarfayt, Fabrice, Wartensleben, on était en droit d’espérer beaucoup. Quelle résistance feraient les bandes turques, indisciplinées, mal nourries, mal conduites, contre des régimens qui s’étaient couverts de gloire dans toutes les grandes guerres du siècle ? Lascy cependant commit une première faute : il étendit ses troupes sur deux cents lieues de frontières et engagea l’action tout au bout de cette grande ligne, en Bosnie. Le gros de l’armée se trouva de la sorte immobilisé.

Les généraux turcs n’avaient point pris de part à la guerre de sept ans, mais ils avaient aussi leur plan, et il paraît bien qu’il était bon. Ils avaient résolu de se tenir sur la défensive du côté de la Russie, où la guerre se faisait dans des provinces arides, peu habitées, et de lancer le gros de leurs forces sur les riches provinces autrichiennes. Le grand-vizir Ioussouf-Pacha réunit soixante-dix mille hommes sous les murs de Nyssa, fondit sur le banat, et n’eut pas de peine à rompre la belle ordonnance de Lascy. Wartensleben voulut attendre les Turcs à Méhadia, il y fut battu le 28 août. L’empereur en personne amena quarante mille hommes à son secours. Les Turcs défirent cette nouvelle armée à Slatina (14 septembre). Il fallut battre en retraite. Dans la nuit