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séjour de paix et de douce intimité, » où Condé ne sut jamais ni vivre ni rester, et, quand le vrai bonheur était là sous sa main, allant chercher ailleurs des joies factices et de faciles succès.

Les fatigues, les angoisses de la première guerre civile avaient profondément altéré la santé de la princesse. Les souffrances morales que lui avaient causées la conduite et les infidélités de son époux avaient achevé d’épuiser ses forces. Le 26 avril, une première hémorragie avait mis ses jours en danger; c’est en ce moment que Condé avait été rappelé en toute hâte de Vitry. Quelques semaines plus tard, cette crise fut suivie d’une seconde plus forte ; à partir de ce jour, la princesse ne se fit plus d’illusion; elle comprit que la mort était proche : « Je suis aux écoutes, écrivait-elle à son cousin le maréchal François de Montmorency, attendant ce qu’il plaira à Dieu m’envoyer[1]. » Une nuit elle se sentit si mal qu’elle jugea venu le douloureux moment de la séparation. Désirant avoir un dernier entretien avec le prince, elle le fit appeler. Lorsque Condé entra dans la chambre de la mourante, tous les assistan s se retirèrent, à l’exception d’une seule demoiselle, l’amie intime de la princesse, à laquelle nous devons ces tristes détails. Tenant dans ses mains celle de son époux et d’une voix distincte encore, mais basse et affaiblie : « Quatre choses, dit la princesse, me rendent bien contente : la première est l’assurance de mon salut, la seconde, la réputation de femme de bien que j’ai toujours eue; la troisième, l’assurance que vous êtes satisfait de moi parce que je vous ai autant fidèlement servi, aimé et honoré que femme du monde pouvoit servir, aimer et honorer son mari ; la dernière, la joie de ce que Dieu laisse à mes enfans un père et une grand’mère qui les nourriront dans la crainte du Seigneur[2]. »

Le dimanche 23 juillet, à sept heures du matin, une nouvelle et dernière crise ne laissa plus à la princesse que quelques heures de vie. « C’est à ce coup, dit-elle, à une des femmes qui la servaient, que je m’en vais à Dieu. » Quelques minutes plus tard, l’agonie commençait. Condé, d’un caractère facile à être entraîné, était au fond très honnête. En présence de la couche funèbre où dormait de son éternel sommeil cette douce et chaste créature, il retrouva dans son cœur de touchantes pensées qui n’y étaient qu’endormies. Tenant dans ses bras son fils, le prince de Conti, et l’aînée de ses filles, il leur montra leur mère inanimée dont la mort avait respecté le noble visage. Portrait vivant de la princesse, la jeune fille inondait de ses larmes les joues de son père : «Ne pleurez pas, mignonne.

  1. Bibliothèque nationale, Fonds Dupay, p. 137.
  2. Epistre d’une damoiselle françoise à une sienne amie dame estrangère sur la mort d’excellente et vertueuse dame Leonor de Roye, MDLXIII.