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donné la foi; mettez-moi en un lieu que, pour le moins avant mourir je vous puisse voir; n’ayez pas un autre cœur que moi ou bien devant faites-moi mourir. Je vous baise mille millions de fois les pieds et les mains. » L’escorte que réclamait Gentil étant enfin venue, Isabelle fut de nouveau mise en bateau et descendit la Saône jusqu’à Lyon ; elle n’y fit qu’un court séjour. Le 18 juillet, Gentil la conduisit à Vienne, où elle fut enfermée dans l’une des tours du château des Canaux.

Catherine de Médicis, chassée de Lyon par la peste, s’était arrêtée au château de Roussillon, la belle résidence du comte de Tournon, Pour en finir, elle donna l’ordre aux deux évêques d’Orléans et de Limoges, qui les premiers avaient interrogé Limeuil, de se rendre à Vienne et d’amener avec eux Maulevrier, afin de le confronter avec la prisonnière. A leur arrivée à Vienne, le 18 juillet, les deux évêques se firent conduire par le prévôt des marchands à la nouvelle prison d’Isabelle. Introduits auprès d’elle, sans autre préambule, ils lui donnèrent lecture de son premier interrogatoire et l’invitèrent ensuite à compléter sa défense. Précédemment elle s’était toujours contenue, mais cette fois, à bout de patience, elle se laissa aller à sa colère. Maulevrier entrait en ce moment dans l’appartement ; en l’apercevant, sa rage redoubla, et devant les deux prélats elle s’écria : « Tu n’es qu’un méchant menteur, tu as désavoué lâchement des paroles que tu m’avois dites; tu n’es qu’un homme de mauvaise vie et un ivrogne. Tu m’en veux, parce que devant moi tu as mal parlé du prince de Condé et de l’amiral Coligny et que tu crains que je ne le leur répète. » Maulevrier persista dans sa première déposition et sortit de la chambre. Restée seule avec les deux prélats, Isabelle protesta de son profond attachement pour Catherine de Médicis et les supplia d’intervenir en sa faveur ; ils y consentirent, après lui avoir fait signer ce dernier procès-verbal.


III.

Aux époques les plus corrompues, l’esprit d’abnégation et de sacrifice, l’amour purifié par la fidélité et le dévoûment, se réfugient toujours dans quelques âmes d’élite; elles semblent, ces nobles et saintes vertus, le patrimoine privilégié de la femme, et, sans orgueil, nous pouvons dire de la Française. Éléonore de Roye, princesse de Condé, fut au nombre de ces quelques âmes d’élite qui honorent un pays. Le noble et consciencieux écrivain qui a publié la vie d’Éléonore de Roye[1] nous a fait pénétrer dans son intérieur « où tout commandait le respect; » il nous a montré ce qu’était « ce

  1. Comte Jules Delaborde, Éléonore de Roye. Paris, 1876, Sandoz.