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à quelques-uns, que je ne puisse recevoir de même de vos lettres; car vous savez qu’il n’y a homme au monde qui soit tant fâché de vos peines que moi, ni qui de plus grande gaîté de cœur soit plus résolu de hasarder sa vie pour vous faire un bon service que moi. Je vous envoie une de mes robes de nuit, qui m’a servi et à vous avec moi, vous suppliant de croire que plutôt je vous souhaite que votre robe, car je vous ferois plus de service qu’une martre. Faites-moi connoître qu’avez autant d’envie de me conserver en vostre bonne grâce, étant captive comme en liberté; car vous savez que accoustumé à n’avoir de compagnon, mais estre seul et premier, je m’assure que n’avez perdu la bonne opinion qu’aviez de moi, mais au contraire qu’elle vous est plutôt augmentée. Reste à m’employer et à me donner le moyen de vous aller mettre hors de la fâcherie où vous êtes, car il faut que j’en aye de vous les moyens. J’ai des yeux qui ne font que pleurer et des forces qui n’ont point de mouvement, n’étant de vous commandées. Hélas! mon cœur, ne m’abandonnez point. » A la suite du monogramme qui remplaçait la signature, il avait écrit : Mourrons ensemble.

Si Condé n’avait pu tout d’abord découvrir le lieu où était enfermée Isabelle, il avait pu du moins mettre la main sur son fils. Après l’accouchement, l’enfant avait été porté chez une pauvre femme, et il avait passé les six premières nuits couché sur de la paille comme un petit chien. Limeuil ayant écrit au prince pour savoir ce qu’était devenu son fils : « Je me contenterai de vous dire, lui répond-il, que j’ai notre fils entre mes mains sain et gaillard et bien pour vivre. Si, au commencement, ceux à qui il n’appartenoit, l’ont baillé comme un petit chien, Je l’ai pris comme père pour le nourrir en prince; il le mérite, car c’est la plus belle créature que jamais homme vit. » Isabelle, prévenue par M. de Fresnes des soupçons de Condé, se hâta de promettre au prince, et dans les termes les plus chaleureux, qu’elle ne parlerait désormais qu’à ceux qui viendraient de sa part et qu’elle n’écrirait plus qu’à lui seul.

Il était grand temps de le rassurer : de méchans propos, venus de bien des côtés, avaient éveillé sa jalousie et, sous la fâcheuse impression de ses doutes, il avait écrit à Isabelle : « Je vous assure, ma mie, qu’il m’ennuieroit bien grandement que l’on pût prendre sur vos actions sujet de dire à qui est cet enfant, comme si deux y avoient passé, qui seroit autant à dire que en tenez deux à une même faveur. Ce que je vous en dis n’est pour le croire, car je n’en ai point d’occasion, comme je vous le ferai paroître ; car je vous donnerai une preuve si je vous aime ou non dans peu de jours. Mon cœur, puisque nous sommes si avant, il faut lever le masque ; car tout le monde sait ce qui en est. Vous serez honorée et estimée de