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ne savoir le lieu où vous êtes et je l’ai retenu jusques à cette heure. Envoyez-moi ma robe, car je vois bien que le prince n’a pas pour agréable que vous vous en serviez. Il est bien étrange qu’étant abandonnée, comme je puis dire que avez été de tout le monde, que le prince trouve mauvais que ayez été visitée et secourue de ceux qui se mettroient au hazard pour vous faire service. Je ne cesserai pour cela d’employer ma vie et mon bien pour vous, la personne du monde que j’aime et estime le plus. » Puis lui rappelant le séjour qu’ils ont fait ensemble l’an dernier à Damétal, à Fécamp, à Rouen : « Je dirai bien heureux, ajoutait-il, celui qui, en tous ces lieux, a reçu tant de contentement. L’on a dit aux filles d’honneur que vous disiez tout le mal d’elles et qu’il n’y en avoit pas une qui n’en eût fait autant que vous. La pauvre Bourdeille et Guitinière vous baisent mille fois les mains. Brûlez ces lettres pour les raisons que vous savez. »

La réponse de Limeuil suivit de près cette lettre : « Il me seroit impossible de vous dire, écrivait-elle à de Fresnes, combien votre lettre m’a apporté de plaisir ; il a été si grand que la parole m’en est faillie et vous promets que ne fais autre chose tous les jours que penser à vous, car me soit fortune, telle qu’elle voudra, ou rude ou favorable, n’aura-t-elle puissance de me faire perdre la volonté de vous aimer. Souvenez-vous de la pauvre ményne, laquelle vous envoie des images qu’elle a peintes. Je vous envoie un cordon qui est fait de ma main ; s’il n’est beau, excusez la pauvreté de Sainte-Claire. Je vous renvoie votre robe qui m’a bien servi ; regardez quelquefois la peinture de la pauvre ményne, laquelle n’a consolation qu’en son miroir et m’est avis qu’il pleure comme moi. Je vous envoie encore une Sainte Marguerite et un Saint Louis que j’ai peint cordelier et la Patience de Job, ce livre étant fort à propos, et un cœur. Gardez-le pour l’amour de moi et donnez-en un à Guitinière et à Bourdeille. Je vous baise les mains mille et millions de fois. Ceux qui ont dit que j’ai médit des filles d’honneur ont menti. »

C’est par M. de Fresnes que Condé, retenu auprès de sa femme de plus en plus malade, fut prévenu de la disparition d’Isabelle. Recevoir des nouvelles de sa bien-aimée par les soins et l’obligeance d’un rival lui causa le plus vif déplaisir. Sa première lettre à Isabelle trahit son mécontentement : « Hélas ! mon cœur, que vous puis-je dire, sinon que je suis plus mort que vif, voyant que je suis privé de vous servir, et vous voiant partir et ne sachant comment je vous pourrois secourir ? M. de Fresnes me mande prou souvent que lui écrivez de vos nouvelles ; mais moi, je ne puis savoir où vous êtes menée et m’étonne fort, puisqu’avez le moyen d’écrire