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le prince avait consenti à ne pas faire poursuivre le meurtrier involontaire, à condition toutefois qu’il ne reparaîtrait jamais devant lui. Mais au retour du siège du Havre, le prince l’avait un jour rencontré par hasard et poursuivi l’épée à la main, Maulevrier n’avait dû son salut qu’à la vitesse de ses jambes. Voilà dans quels termes il était avec le prince de La Roche-sur-Yon et voilà le point de départ de son accusation contre Isabelle : selon lui, elle lui aurait dit à plusieurs reprises : « A ta place, j’empoisonnerois le prince. » Lors du séjour de la cour à Châlons-sur-Marne, Isabelle, qui s’était retrouvée seule avec lui, se serait laissé emporter aux injures les plus violentes contre La Roche-sur-Yon ; elle l’aurait accusé d’être l’instigateur de toutes les petites vexations que la princesse sa femme, grande-maîtresse de la maison de Catherine, faisait endurer à toutes les filles d’honneur, se plaignant, pour sa part, d’un vilain tour que le prince lui aurait joué. Mise en demeure par Maulevrier de s’expliquer, elle aurait répondu que cela touchait à son honneur, mais sans vouloir en dire davantage. Le lendemain soir, elle aurait fait entrer Maulevrier dans sa chambre et lui aurait dit : « Le prince donne un souper demain, ta maîtresse y est invitée, je le sais de Condé; La Roche-sur-Yon n’en donnera pas d’autre, ce sera son dernier. » Puis, comme se repentant de ce qu’elle avait dit, elle ajouta : «Tiens-toi pour bien averti; si tu en dis un mot, on te trouvera mort au coin de quelque borne[1]. » Loin de s’effrayer de cette menace, Maulevrier avait fait avertir le prince, qui l’aurait invité à tirer d’Isabelle de Limeuil d’autres confidences. Cela fut facile à Maulevrier. A quelques jours de là, la cour étant à Vitry, Limeuil lui aurait dit : « Le coup a manqué, le prince a remis son souper, mais l’occasion s’en retrouvera. » Et, tirant d’une enveloppe une petite poudre blanche et lui en donnant une partie : « Fais-en manger à ton chien, tu verras combien il mettra de temps à crever. » La crainte de Maulevrier que l’effet ne suivît de près la menace l’aurait fait prévenir Filleul, un des serviteurs du prince, qui, au nom de son maître, l’aurait engagé à ne pas pousser les choses plus loin et à venir à Dijon, où la cour allait se rendre. Ce qui aggrava singulièrement l’accusation de Maulevrier, c’est qu’il y mêlait le nom de Catherine, prétendant que, le lendemain d’un grand dîner donné à Bar-le-Duc, Limeuil lui aurait dit : « C’est vraiment étonnant que la reine mère n’ait pas été malade. »

Cette déposition, après lecture faite, ayant été signée par Maulevrier, et la minutie et la précision des détails lui donnant un air de vraisemblance, Catherine et Charles IX, dès qu’elle leur fut communiquée,

  1. Information contre Mlle de Limeuil.