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reprenant leur route et après s’être arrêtées d’abord à Sens, où le jeune roi fut splendidement reçu, puis à Villeneuve-L’Archevêque, leurs majestés entraient le 27 mars à Troyes. C’est dans cette dernière ville que Condé tomba subitement malade. Son état parut assez grave pour que sa femme, quoique bien souffrante elle-même, fût appelée pour le soigner. Elle accourut tout aussitôt, mais, à bout de forces, dès que son mari fut rétabli, elle se hâta de retourner auprès de ses enfans. A. peine était-elle rentrée au château de Condé-en-Brie qu’elle y fut prise d’une violente hémorragie qui mit ses jours en danger. Un courrier, parti en toute hâte, vint chercher Condé à Vitry-le-François, où il avait suivi Catherine. On crut d’abord que ce n’était qu’un prétexte pour le faire partir de la cour, mais la fâcheuse nouvelle n’était que trop vraie, le danger n’était que trop réel.

Après quelques jours d’arrêt à Bar-le-Duc, pour assister au baptême de son petit-fils de Lorraine, Catherine, continuant sa route, faisait le 22 mai son entrée à Dijon. Elle avait promis à Tavannes, gouverneur de la Bourgogne, d’y séjourner quelques jours ; elle logea à l’hôtel de Saulx. C’est durant cette courte halte que la liaison de Condé et de Limeuil eut le plus scandaleux dénoûment. Un jour d’audience solennelle, Isabelle se trouva mal subitement. Emportée dans une chambre voisine, elle y donna le jour à un fils. « Pour une personne si avisée, remarque notre vieil historien Mézeray, on ne s’explique pas trop comment elle prit si mal ses mesures. » Pareil malheur était arrivé à Mlle de Vitry ; mais, accouchée le matin, elle avait eu la force et le courage de se traîner au bal donné au Louvre. L’émoi fut au comble quand on apprit qu’Isabelle venait d’être arrêtée. Ce n’était pas le premier accident de ce genre arrivé à la Cour ; on eut donc lieu de s’étonner de la sévérité de Catherine de Médicis, qui maintes fois s’était montrée plus indulgente. Voulait-elle, par cet exemple, dégager sa propre responsabilité, tant soit peu compromise, « la fille, comme le dit si ironiquement Mézeray, n’ayant rien épargné pour bien servir sa maîtresse ? » On s’en étonna plus encore en voyant un jeune seigneur, Maulevrier, porter contre Isabelle une grave accusation. Quelles preuves en apportait-il ? Il faut ici remonter un peu plus haut dans le passé. Au mois de juillet 1560, chassant à courre avec le marquis de Beaupréau, le fils unique du prince de La Roche-sur-Yon, le cheval du marquis s’étant abattu, Maulevrier, qui n’avait pu retenir le sien, avait écrasé son compagnon de chasse. Inconsolable de la mort de son fils, le prince de La Roche-sur-Yon en avait conçu un tel ressentiment et avait proféré de telles menaces contre Maulevrier que celui-ci, craignant pour sa vie, s’était tenu longtemps caché. Grâce à l’intervention de Catherine,