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disputaient à Limeuil et à Marguerite de Lustrac, et par les lèvres desquelles d’Aubigné, dans sa langue hardie, lui reproche de s’être laissé « trop souvent haléner. »

La série des fêtes de Fontainebleau commença par un grand dîner chez le connétable de Montmorency. Le soir, il y eut souper chez le cardinal de Bourbon, et dans la cour de son hôtel un combat à cheval[1]. Le lendemain, Catherine donna à la vacherie un grand banquet suivi d’un ballet-comédie. Isabelle de Limeuil y figura en Hébé. Jamais plus belle main n’avait tenu la coupe d’or et versé l’ambroisie et l’ivresse; drapée dans une tunique dont la gaze transparente laissait entrevoir et deviner des formes que la déesse lui eût enviées, elle attira tous les regards, et la vanité de Condé s’en trouva si flattée qu’elle n’eut pas grand’peine à ramener l’infidèle, et à le reprendre à ses rivales d’un jour. Charles IX s’était réservé le mardi gras. Un camp, clos de barrières et de fossés, fut dressé devant les bâtimens du chenil : un château-fort lui faisait face. A ses étroites fenêtres apparurent de charmantes têtes de jeunes filles, pauvres prisonnières gardées par des géans et par des nains. Six compagnies d’hommes d’armes, sous les ordres du prince dauphin, des ducs de Nevers, de Longueville, de Mantoue et du rhingrave, ce comte palatin du Rhin engagé au service de la France, allaient en faire l’attaque. Elles défilèrent en bon ordre devant les tribunes où la cour avait pris place ; six nymphes à cheval, vêtues de court, fermaient la marche. Condé défendait le château enchanté, vrai château d’Amadis. Ce jour-là, il y eut autant d’œillades échangées que de coups d’épée donnés. Ce fut la clôture des fêtes.

La santé de la princesse de Condé avait été profondément atteinte par les longues souffrances et privations du siège d’Orléans ; ne se sentant plus la force de prolonger son séjour à la cour, elle prit congé de Catherine. Un autre motif lui en faisait une nécessité : pour complaire au nouvel ambassadeur d’Espagne, don Francès de Alava, et le rendre plus favorable à l’entrevue qu’elle sollicitait de Philippe II, Catherine avait interdit à Renée de Ferrare et à Coligny de faire prêcher dans leur propre logis. Renée et l’amiral ayant pour cette raison quitté Fontainebleau, la princesse de Condé fit cause commune avec eux, mais avec le chagrin de laisser derrière elle son époux, qui, dans ces circonstances, se sépara ostensiblement de ses coreligionnaires.

Le lundi 13 mars 1564, Catherine et Charles IX partirent de Fontainebleau et le même soir allèrent coucher à Montereau. Le lendemain,

  1. Pièces fugitives du marquis d’Aubais, Journal d’Abel Jouan, t. Ier, p. 3.