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Quand je sens parmi les prez
Diaprez
Les fleurs dont la terre est pleine,
Lors je fais croire à mes sens
Que je sens
La douceur de son haleine.

Je voudrois pour la tenir
Devenir
Dieu des forêts désertes,
La baisant autant de fois
Qu’en ces bois
Il y a de feuilles vertes.


Comme elle était l’amie inséparable de Madeleine et de Jeanne de Bourdeille, sœur et cousine de Brantôme, attachées toutes les deux comme elle à la maison de Catherine de Médicis, l’occasion lui étant ainsi donnée de la voir souvent, Brantôme aussi lui s’en éprit, et cet amour lui inspira ses meilleurs vers :


Doulce Limeuil, et doulces vos façons,
Doulce la grâce, et doulce la parolle,
Et doux votre œil qui doucement m’affole.


Mais le préféré, l’amant de cœur que la cour donnait, avec quelque vraisemblance, à Isabelle, c’était Florimond Robertet, sieur de Fresnes. Isabelle, pour se prêter aux vues de Catherine, se laissa néanmoins courtiser par Condé. La raison d’état s’associait ainsi à la galanterie, mais l’amour se mit bien vite de la partie.

On se l’explique pour peu que l’on regarde avec attention le portrait de Condé fait par Janet, et dont le duc d’Aumale a placé la gravure en tête de son Histoire des princes de Condé. Rien de plus gracieux que cette tête fine qui se détache d’une haute fraise bouffante. Les cheveux relevés droit agrandissent ce beau front; dans ces yeux au regard si pénétrant, l’énergie est tempérée par une douceur presque féminine; les narines sont sensuelles; la moustache retroussée laisse entrevoir cette bouche spirituelle dont on redoutait les moqueuses reparties : « Dieu nous garde, disait-on de son temps, de la douce façon et gentille du prince de Condé! » C’est bien là l’impétueux capitaine allant, sans regarder en arrière, se faire prendre à Dreux et à Jarnac au plus épais des escadrons ennemis, et, avec la même furie française, se jetant tête baissée dans une aventure galante. En s’attaquant à Isabelle de Limeuil, Condé ne se promettait qu’un caprice : il y trouva un de ces liens dont on a plus tard bien de la peine à se dégager, et de lui-même il vint se prendre dans le piège tendu par la rusée Italienne. Catherine,