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disbuller reconnaissaient les sceaux en les comparant à ceux des chartes d’envoi, ils les brisaient et dressaient procès-verbal. Cet examen achevé, un jour était fixé pour l’entrée solennelle et pour l’exposition publique ; un sermon faisait connaître les preuves d’authenticité : c’était la fête dite de susception. Les biographes de saint Louis nous retracent de pareils épisodes quand arrivent à Paris la Sainte Couronne en 1239, et la Grande Croix en 1241, Ce n’est pas tout. À la suite de la susception, une fête annuelle et commémorative était instituée, avec un office spécial dont les leçons et quelquefois les hymnes répétaient les circonstances de la translation. Plus longues encore et plus détaillées étaient les précautions auxquelles les reliques envoyées en dehors des voies officielles donnaient lieu. Chartes d’authentique, procès-verbaux de susception, narrations officielles ou enquêtes officieuses, offices commémoratifs, lectures édifiantes, leçons de bréviaires, chants populaires, litanies, hymnes et sermons,.. qui ne comprend que voilà pour l’historien des croisades cent occasions d’informations utiles ? Ces divers documens donnent en grand nombre des signatures de témoins importans, des dates, des itinéraires, des fragmens de récits, de réelles pages historiques. On a là toute une méthode de recherche dont le point de départ est cette maxime très fondée, que l’histoire des croyances religieuses est une des plus fermes attaches de la longue tradition orale ou écrite.

Aujourd’hui encore, l’église paroissiale de Tournemire, près de de Saint-Cernin, dans l’arrondissement d’Aurillac, conserve un très ancien reliquaire contenant une épine, sans doute la même « sainte Epine » dont en 1704, dans une lettre à Mabillon, le bénédictin dom Barras raconte qu’on la montrait en ce temps-là dans le même lieu. Des gouttes de sang, dit-il, y paraissaient tous les vendredis saints, et une procession solennelle avait lieu, où tous les gentilshommes du pays portaient sur leurs vêtemens une croix de drap rouge, en souvenir de la première croisade et du concile de Clermont. Dom Barras ajoute que son père avait vu chez le seigneur de Tournemire « un vieux manuscrit de trois cents feuillets de parchemin, contenant une histoire de la guerre sainte du temps d’Urbain II, composée en latin par un moine de l’abbaye d’Aurillac qui suivit Bigald de Tournemire, lequel apporta de Jérusalem cette sainte Épine. » Sans nul doute, il s’agit d’un récit de translation, qu’il serait important de retrouver. M. Riant établit que ce manuscrit ne peut être une copie de quelqu’un des récits déjà connus de la première croisade, parce que nul d’entre eux, sauf celui d’Albert d’Aix, ne comporte de pareilles proportions, parce que nul ne fait mention d’un Rigald de Tournemire, personnage tout à fait nouveau dans l’histoire de cette croisade, parce qu’enfin nul de ceux