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saurons les apercevoir nous-mêmes et en estimer les auteurs. À ne parler que des études qui sont du domaine de l’histoire, un effort considérable s’accomplit en ce moment en France. Nous comprenons que nous ne pouvons recueillir dignement le bel héritage de la génération précédente qu’en y ajoutant notre part d’intelligente énergie et de résultats honorables ; et la direction de l’esprit public, le progrès de la science, conseille incontestablement à cette activité les voies de l’examen critique. Les idées générales qui nous ont été transmises ont passé dans le commun usage, elles demandent à être renouvelées avec le secours de recherches consciencieuses et sévères. L’enseignement supérieur se modifie en ce sens, et beaucoup de travaux individuels, marqués au coin d’une solidité patiente et réfléchie, contribuent à un mouvement intellectuel très sensible. Je voudrais signaler aux lecteurs un de ces louables progrès, qui n’en est encore qu’à son début, mais qui a commencé de renouveler toute une vaste période historique.

Depuis huit ou neuf années seulement, sous le titre de Société de l’Orient latin, un groupe de savans français a entrepris de rechercher et de publier, en les expliquant, tous les souvenirs historiques et littéraires qui concernent les croisades et l’influence française pendant le moyen âge en Orient. N’est-ce pas une page de notre histoire, non la moins éclatante, celle de cet Orient méditerranéen, — Palestine et Syrie, Arménie et Chypre, Constantinople, Égypte, Afrique septentrionale, — qui a vu la croix, au nom de la France, tenir en respect si longtemps l’islamisme, un royaume et un empire français importer, avec notre droit féodal, notre langue et nos mœurs, — une auréole de valeur militaire, de vertu chrétienne, de poésie chevaleresque, se former pendant plus de quatre siècles autour de ces grands noms : Charlemagne, Godefroy de Bouillon, saint Bernard, Philippe Auguste, saint Louis, et s’édifier enfin une gloire toute française, aujourd’hui plus de dix fois séculaire, dont on peut dire que, malgré nos fautes, l’éclat continue toujours de nous protéger ?

L’histoire de cette vaste et retentissante période n’est cependant pas encore écrite, car le livre de Michaud, malgré ses mérites peut-être en son temps, fourmille de lacunes et d’erreurs. Nous n’en avons pas même tous les élémens réunis. Le monumental recueil des Historiens des croisades entrepris par l’Académie des inscriptions ne comprend que deux siècles, en dehors desquels toute une vaste période de préparation et des suites importantes restent à faire connaître. Le plan d’ailleurs en comprend surtout ces textes étendus qu’on peut appeler classiques, et il faut beaucoup de temps à l’avancement d’une œuvre qui, dans les limites tracées, reste si considérable. Cependant, en Allemagne comme en France,