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C’est peu sans doute en comparaison du flot de colons que l’Angleterre déverse chaque année sur son immense empire; néanmoins c’est certainement assez pour le service de nos possessions restreintes. Si l’on tient compte de la différence existant entre l’étendue de nos colonies et l’étendue de celles de l’Angleterre, on reconnaîtra que, proportionnellement, nous n’avons pas moins d’hommes qu’elle à employer à l’œuvre coloniale. Pourquoi donc ne ferions-nous pas sur un théâtre moins vaste ce qu’elle fait sur un théâtre gigantesque, avec des moyens relativement égaux aux nôtres? Il est juste d’ailleurs d’ajouter que l’absence de colonies, jointe au goût de la vie casanière qui a si malheureusement dominé chez nous depuis le commencement du siècle jusqu’à ces dernières années, sont la cause principale, sinon unique, de la stagnation de la population française, dont tous les politiques et tous les économistes s’émeuvent à bon droit. Nous n’avons plus d’enfans, parce qu’avec les besoins de bien-être qui règnent aujourd’hui, nous n’avons plus sur notre territoire les ressources nécessaires à l’existence aisée et douce que tout le monde aspire à mener. Mais que l’émigration redevienne populaire chez nous, qu’elle ouvre à l’industrie humaine de nouveaux et larges débouchés, et nous verrons aussitôt les familles croître et multiplier. L’expérience à cet égard est décisive. Sans aller en chercher la preuve chez nos voisins, ne suffit pas de faire observer que le département des Basses-Pyrénées, par exemple, qui envoie chaque année un nombre considérable d’émigrans dans les provinces de la Plata, accusait, au dernier recensement quinquennal, une augmentation de plus de quatre mille habitans ? Si dans tous nos départemens s’établissaient des courans analogues et réguliers d’émigration ; si chacun d’eux avait, au-delà des mers, une sorte de succursale peuplée de parens et d’amis des familles métropolitaines; si les pères et les mères savaient que leurs enfans, arrivés à l’âge adulte, pourront trouver là, dans un milieu français, une vie prospère, la France deviendrait aussi prolifique que l’Angleterre ou l’Allemagne.

Mais elle n’en a pas besoin pour coloniser. On attache trop d’importance à cette question d’excédent de population. Que nous importerait d’avoir une surabondance considérable d’habitans, puisqu’il n’existe plus de territoires vides où nous puissions créer des colonies de peuplement analogues à l’Australie ou au Canada? L’ère de ces colonies est close. La fatalité historique nous condamne à nous contenter de possessions d’une tout autre espèce: colonies de domination et de commerce, comme la Cochinchine, le Sénégal, le Congo; de plantation, comme les Antilles et la Réunion; ou, d’un genre mixte, se prêtant à un peuplement plus ou moins restreint, comme l’Algérie et peut-être Madagascar. Or,