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Du jour où il fut entré dans la garde, Coignet ne quitta plus Napoléon. En campagne, aux Tuileries, au camp de Boulogne, à Saint-Cloud, il était sans cesse auprès de l’empereur ou combattait sous ses yeux. Coignet, d’ailleurs, faute d’une instruction suffisante, ne parvint pas aux grades élevés. Grenadier à la 96e demi-brigade en 1799, sapeur en 1801, grenadier de la garde en 1803, légionnaire en 1804, caporal en 1807, sergent en 1808, lieutenant dans la ligne, adjoint au petit quartier-général en 1812, capitaine à l’état-major général de l’empereur en 1813, vaguemestre général du quartier-général et officier de la Légion d’honneur en 1815, telle fut la modeste carrière de Coignet. Mais le relevé de ses campagnes, qui se trouve à la fin de ses Mémoires, est comme l’inscription commémorative des victoires des armées françaises, comme la table des chapitres de l’histoire militaire de Napoléon. Coignet est au passage du Saint-Bernard, à Marengo, à Austerlitz, à Iéna, à Eylau, à Friedland, à Somo-Sierra, à Essling, à Wagram, à la Moskowa, à Lutzen, à Dresde, à Montmirail,.. il est aussi à Waterloo.

De même que Fricasse réalise le type traditionnel du volontaire de la république, de même Coignet représente le grognard de l’empire, le « vieux de la vieille, » tel que les histoires populaires de Napoléon, les chansons de Béranger, les lithographies de Charlet l’ont fixé dans notre esprit. On a lu ces deux admirables récits de corps de garde de Balzac et de Frédéric Soulié : l’Histoire de l’empereur racontée par un vieux soldat, et la Lanterne magique. Dans ces chefs-d’œuvre de narration familière, les soldats parlent une langue d’une merveilleuse couleur locale et sont peints avec un relief saisissant. Eh bien ! malgré tout le talent d’observation et toute la puissance créatrice des deux écrivains, Coignet est encore plus grognard que leurs grognards. Et pour l’originalité pittoresque du style et le diable-au-corps du récit, ses Gabiers rivalisent avec leurs épopées héroï-comiques. Ce soldat presque complètement illettré (il n’apprit à lire qu’à trente-cinq ans pour passer sous-officier,