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Au demeurant, les succès des Vendéens n’ont pas de lendemain. On apprend au camp du Rhin, le 22 juillet 1795, la défaite de Villaret-Joyeuse, le débarquement de quatre mille émigrés sur la côte de Bretagne, leur jonction avec dix mille paysans armés et les quatre mille chouans de Cadoudal. « L’armée n’est plus reconnaissable, dit Thiboult; l’espérance d’un dénoûment prochain a ramené la gaîté à la place du morne silence. » Mais cette expédition avorte à Quiberon, et la nouvelle de ce désastre, connue le 2 août, rejette tout le monde dans l’épouvante et le désespoir. «On donne un libre cours à la douleur. »

Loin qu’elle se fortifie et qu’elle s’aguerrisse, l’armée des princes s’énerve et se perd. On commence à servir mal, les désordres vont croissant. « L’armée n’est plus telle qu’au moment où j’y suis entré,» écrit Thiboult le 7 septembre 1796. — D’ailleurs, dans les circonstances, trop rares pour eux, où on les met en ligne, les Condéens font bravement leur devoir. A l’affaire d’Ober-Kamlach (13 août 1796) l’infanterie noble se montra doublement vaillante, puisqu’elle combattit avec intrépidité et dans l’obscurité troublante de la nuit. Mais, après deux ans d’inaction, les Condéens débutaient par un échec ! A la suite du combat d’Ober-Kamlach, on dut se mettre en retraite à travers la Bavière et la Souabe. Les fatigues, les privations, les contremarches exaspérantes de cette campagne, marquée par un demi-succès, Steinstadt, et par une défaite, Biberach, achevèrent, de lasser la patience des Condéens et d’abattre leur énergie. Il arriva que beaucoup de volontaires ne restèrent plus au corps que faute de le pouvoir quitter. « L’armée est dans le plus triste état, lit-on dans le Journal de Thiboult. Chacun est dégoûté et ouvre avec ardeur des correspondances par la Suisse pour obtenir de l’argent et se procurer ainsi les moyens de partir d’ici. » Ah ! les soldats des armées républicaines ne pensaient point à abandonner leur drapeau.

Au milieu de l’année 1797, le corps de Condé passa de la solde de l’Autriche à celle de la Russie et partit pour la Wolhynie. L’étape fut aussi pénible que longue. Les Condéens n’arrivèrent que le 3 janvier 1798 aux cantonnemens qui leur avaient été assignés. Il fallut apprendre les manœuvres à la russe et faire l’exercice avec des fusils du poids de quinze livres. On fut astreint à un service de garnison « très pénible pour la noblesse, qui ne l’avait jamais fait.» On se trouva comme en un désert, privé de toute correspondance particulière, et même de toute nouvelle, sauf de fausses nouvelles : telles les victoires des alliés, la capture de la flotte d’Egypte par les Anglais, la tête de Bonaparte envoyée au grand Turc. La discipline fut rigoureuse, les punitions fréquentes et sévères et, pour les châtimens, les pénalités russes étaient substituées à celles en usage