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toujours que les coupables étaient les Français, et ils réclamaient des châtimens exemplaires. Les chefs n’osaient point défendre leurs soldats. Maintes fois des Condéens furent punis des arrêts, de la prison, de peines plus sévères encore, bien qu’ils n’eussent tiré l’épée que pour défendre leur vie. « A la suite d’une rixe sanglante, raconte Thiboult, et quoique les paysans qui y ont trouvé la mort aient été les agresseurs, deux gentilshommes ont été condamnés par la prévôté de l’armée du prince à avoir la tête tranchée. Le prince leur a facilité les moyens de s’éloigner jusqu’au moment où nous aurons quitté les terres du margrave de Bade. Ils pourront alors rejoindre le corps. » — Un prince du sang, un chef d’armée, réduits à de pareils compromis ! — Et le pire était que, par cette conduite, les chefs des Condéens n’obtenaient pas le résultat cherché ; tout au contraire. En vain, de peur que les plaintes contre l’armée ne mécontentassent la cour de Vienne, ils faisaient docilement droit aux réclamations des magistrats et écoutaient les doléances des paysans, ils ne pacifiaient rien. Les exigences des Allemands et leur insolence envers les soldats croissaient à mesure qu’on leur donnait plus d’argent à titre d’indemnité et qu’on sévissait plus sévèrement contre ceux qu’ils accusaient. « Ces extrêmes ménagemens, dit Thiboult, nuisent à la considération des chefs, au bien-être de l’armée et à la tranquillité générale. Chacun croit ne rien nous devoir, chacun parle haut et menace, la patience se lasse et on frappe. » Haïs, exploités, volés et molestés par les bons Allemands des provinces rhénanes, les Condéens se trouvent comme en pays ennemi avec l’obligation de traiter les nationaux en amis.

Les traverses de cette existence impossible se joignent aux ennuis et à l’énervement de l’inaction pour faire tomber les soldats nobles dans une tristesse morne. C’est inutilement qu’ils cherchent à s’étourdir au milieu des maigres distractions du camp, dont Thiboult trace le tableau : parties de loto et de macao, soupers d’œufs et de vin pour ceux qui ont de l’argent, de lait caillé et de pain de munition pour ceux qui n’ont que leur solde. Dans ces réunions, une gaîté passagère semble faire oublier aux Condéens « leurs chagrins si réels. » Mais la retraite bat, on se sépare et l’on retrouve les pensées amères. On n’en est plus aux espérances de la première heure, on a perdu le feu des journées de Berstheim et de Wissembourg. Les Condéens n’ont plus foi à la victoire. Ils restent soldats, mais leur âme a déserté. Les gazettes, les rapports, les ordres du jour ont beau leur répéter sans cesse que les « carmagnoles, » — sobriquet des républicains, — se battent indignement dans l’Ouest, qu’ils n’inspirent que du mépris aux Vendéens, les soldats de Condé deviennent incrédules : « Ce sont cependant ces mêmes carmagnoles, disent-ils, qui font fuir les armées européennes coalisées. »