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les plus aventureux d’entre les brokers. En France, une commission extra-parlementaire, instituée par le gouvernement à la suite des désastres financiers de 1882, apportera, si les chambres l’adoptent, des améliorations importantes à cette loi de 1867 sur les sociétés qui est si impudemment faussée. Les réformes essayées à l’étranger comme chez nous n’atteignent pas le mal dans toute son amplitude : elles pourront faire obstacle aux fraudes pratiquées trop souvent dans la formation des sociétés, dans les émissions de titres, mais elles ne touchent pas encore le commerce du titre, le rôle secret de l’agent de change, le mécanisme à la disposition des audacieux et des habiles pour mouvementer les valeurs et provoquer une capitalisation artificielle sans rapport avec l’état économique et financier du pays. Cette seconde partie du programme est d’une solution difficile, je le reconnais : il y a bien des mystères ténébreux à pénétrer, et à vaincre bien des résistances dangereuses ; mais il suffit que la question soit posée résolument à l’ordre du jour et que la portée sociale en soit aperçue dans le public : elle occupera assez les hommes expérimentés et de bon vouloir pour que la controverse amène les réformes dont l’heure est venue.

Une théorie, lorsqu’elle est simple et vraie, doit se formuler en peu de mots : bien peu de mots vont suffire pour résumer les développemens qui précèdent.

Il y a un équilibre nécessaire entre les prix totalisés des produits livrés à la consommation, et le total des revenus individuels, c’est-à-dire avec l’ensemble des ressources de chacun pour acheter. Quand le chiffre total des revenus individuels augmente, la production restant la même, il y a enchérissement ; on paie plus cher sans consommer davantage. Le contraire aurait lieu si la production devenait plus abondante sans que la somme numérique des revenus fût modifiée, — L’augmentation des revenus découle, pour la plus grande partie, de la capitalisation. La capitalisation est réelle ou fictive, — La formation des capitaux, quand elle est normale, provient du travail et de l’économie ; dans ces conditions, le capital se reproduit et se développe au grand avantage des populations : la quantité croissante des utilités qu’il offre aux consommateurs présente une contrepartie à l’accroissement des revenus qu’il occasionne : l’enchérissement n’a pas lieu. Mais en même temps existe, confondue avec la précédente, une autre capitalisation artificielle, étonnante de subtilité et d’audace, grandissant de jour en jour ; celle-ci lance dans le courant des affaires des papiers stériles, ou bien elle gonfle à l’excès le cours commercial des titres sérieux ; ces valeurs menteuses, adroitement négociées à la Bourse, transformées en or chez l’agent de change, constituent une espèce de faux monnayage qui augmente le fonds