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une baisse dont l’évaluation serait prématurée, est inévitable. Ces milliards de titres gonflés ou frauduleux qui se convertissaient en espèces sonnantes et se comportaient sur nos marchés à l’égal des valeurs sérieuses, ils ont disparu, laissant des vides dans toutes les affaires et de la raideur dans toutes les transactions. On comptait, en juin 1883, parmi les établissemens de quelque surface, 20 banques en faillite, 10 qui ont réduit leur capital et 46 qui se trouvent en liquidation, soit volontaire, soit par autorité de justice; 173 des prétendus journaux financiers ont suspendu leur publication. J’ai montré le prudent rentier, additionnant ses valeurs au cours surfait de la Bourse et forçant sa dépense, parce qu’il se croit plus riche, son capital étant gonflé ; le contraire a lieu quand survient une forte baisse et surtout quand les valeurs qu’il possède sont d’une réalisation plus difficile. Il prend peur, il revient à ses habitudes d’étroite économie, il réduit sa dépense au strict nécessaire.

Le mouvement rétrograde n’est-il pas déjà appréciable par le ralentissement du commerce, par le nombre croissant des locations vacantes, par les mécomptes budgétaires, par de plus nombreuses faillites? Au surplus, cette tendance à l’abaissement des prix n’est pas particulière à la France ; l’on s’en plaint en Angleterre, où la spéculation extravagante des dernières années, quoique moins aveugle que chez nous, a produit des effets analogues. M. Goschen, qui est une autorité en matière de finance, a soulevé récemment une polémique retentissante en constatant une dépréciation notable sur les articles de grande consommation, le café, le thé, le sucre, l’huile, les céréales, les cotonnades, le cuivre, le fer. La thèse qu’il soutient sans beaucoup de succès est que les exportations d’or pour l’Allemagne, pour l’Italie, pour les États-Unis, coïncidant avec la moindre fécondité des mines d’Australie, ont appauvri la circulation monétaire et comprimé le pouvoir d’achat sur les marchés anglais. Il y a une explication bien plus naturelle de la chute des prix : c’est le désarroi du commerce, succédant comme chez nous aux excès de la spéculation. On sait qu’à Londres toutes les affaires, tous les mouvemens de fonds viennent se liquider chaque mois au Clearing-House par la compensation des débets et des créances : ce mouvement colossal se totalise par des milliards. Eh bien ! le chiffre total des traites, billets, mandats, chèques, soldés au Clearing-House, pendant l’année clôturée le 30 avril 1883, est inférieur de h milliards 837 millions 700,000 francs (193,508,000 liv. sterl.) au chiffre de l’exercice précédent, et tout récemment la comparaison du mois de juin 1883 avec le mois correspondant de 1882 fait ressortir une réduction de 457 millions de francs. Il est