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des peuples, selon qu’elle est dirigée bien ou mal, selon qu’elle est vivace ou souffreteuse, morale ou viciée.

Si une évolution de cette nature est possible, diront ceux qui souffrent, pourquoi ne se réalise-t-elle pas? Pourquoi n’a-t-on pas même l’espoir de son accomplissement? Je répondrai : Entre les empêchemens qu’on pourrait signaler, le principal et le plus dangereux, parce qu’étant inaperçu, on n’en a pas encore cherché le correctif, c’est l’extension anormale du pouvoir d’achat résultant du mécanisme actuel de la Bourse et de la manière dont s’y opère le commerce des capitaux. J’en ai décrit plus haut les procédés actuels pour expliquer comment ils ont abouti au krach. La crise que traverse le monde financier est un accident. Je reviens d’une manière générale sur ce grand problème de la capitalisation, parce qu’il touche, non pas un abus local et passager, mais un fait social, d’origine relativement récente et qui tend à devenir, par son extension rapide et son universalité, une force prépondérante et comme le grand ressort dans la phase de rénovation où les peuples sont entrés.

Sous le régime des castes, dans la haute antiquité, dans le monde gréco-romain et pendant la féodalité, le capital, sous forme de propriété foncière immobilisée au profit des aristocraties, n’était pas transmissible commercialement. Le trafic clandestin des usuriers n’avait qu’une influence locale et très limitée sur le transfert des richesses. Avec les emprunts d’état sous forme de billets royaux portant intérêts commença le rôle social des valeurs mobilières. Des sociétés privées, formées en vue des affaires coloniales, accoutumèrent peu à peu le public à la négociation des titres. Les gouvernemens essayèrent alors de régulariser ce nouveau commerce en instituant, sous le nom de bourses, des marchés spéciaux et permanens : il y en eut dans la plupart des grandes villes européennes, mais leurs opérations, comprimées par beaucoup d’obstacles, ne se développèrent que lentement, et plus d’un siècle devait s’écouler avant qu’elles exerçassent une action appréciable dans l’existence des peuples.

Le rôle politique autant que financier que les bourses devaient jouer commença à se dessiner vers 1820. Le mouvement fut lancé par la liquidation des grandes guerres de la révolution et de l’empire, qui, en bouleversant les nations européennes, avaient multiplié leurs rapports et fusionné leurs intérêts. Au lieu d’emprunter comme autrefois, avec réserve, sous la fatalité du besoin, l’emprunt devint en tous pays un ressort usuel sous la main des gouvernans. Le mécanisme de ce qu’on appelle le crédit public, impliquant la facilité d’en abuser, la transformation incessante, universelle, des économies