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que chacun est plus ou moins engagé dans le jeu. Les prétendus bénéfices réalisés grâce au mécanisme du Stock-Exchange, comme ils le sont chez nous par le fait des agens de change, arrivent sur le marché avec une valeur monétaire effective, et tant que dure l’illusion ils augmentent dans une mesure incalculable la puissance d’achat qui existait antérieurement. L’âge d’or revient pour l’Angleterre. Les prix de toutes choses s’élèvent du jour au lendemain, et tout est acheté. La spéculation sur les terrains prend feu, les maisons sortent de terre. Les magasins s’emplissent de marchandises importées. Les usines travaillent au plein : il y a du travail lucratif pour tout le monde ; l’ouvrier cesse de gémir. Ce beau rêve dure une année. Cependant on se lasse d’attendre les lingots d’or et d’argent qui n’arrivent pas; on se dit dans le public que plusieurs banques sont ébranlées, et un jour vient enfin où l’on apprend qu’une maison financière de premier ordre a suspendu ses paiemens. Aussitôt, comme le dit un observateur attentif de ces évènemens, Thomas Tooke, dans son excellente Histoire des prix: « L’Angleterre en son entier aurait été surprime par un tremblement de terre qu’il ne se serait pas produit parmi le peuple une plus grande frayeur, une plus grande misère. » A un enchérissement de toutes choses qui avait quelquefois dépassé 100 pour 100 en 1825, succède une effroyable baisse en 1826, qui précipite les prix au-dessous de ce qu’ils étaient en 1824. L’équilibre des transactions est bouleversé; 63 banques provinciales font faillite coup sur coup et les faillites du commerce se comptent par milliers. Le travail s’arrête. Les ouvriers anglais, un instant calmés, s’exaspèrent de nouveau et se livrent à des manifestations bien autrement menaçantes pour la société que celles dont on s’inquiète chez nous.

Je ne voudrais pas multiplier les exemples, et cependant je ne puis m’abstenir de mentionner la crise récente d’où nous est venu le mot allemand appliqué à ces sortes de sinistres. Le 9 mai 1873, la Bourse de Vienne offrait un spectacle sans précédens. Des chefs d’entreprises, des banquiers qu’on voyait d’ordinaire entourés et salués comme des triomphateurs, étaient à leur arrivée sifflés, conspués, battus. Le désordre prenait un caractère convulsif, le conseil des syndics déclare les opérations suspendues. Banquiers, agens de change, courtiers, actionnaires s’élancent au dehors, avec des démonstrations de colère et de fureur. L’affolement gagne la ville. La foule accourt et s’entasse menaçante dans le quartier de la Bourse. La police est forcée d’intervenir. Que se passe-t-il donc? C’est l’édifice financier qui s’écroule, c’est le krach : le mot est resté.

Tous les sinistres de ce genre ont la même origine et les mêmes symptômes. Dès que l’exposition de Vienne fut décidée, on se figura