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capital dans l’existence des sociétés, je ne crains pas d’y insister en le précisant par un exemple qui date d’hier.

Une banque au capital de 25 millions, et aujourd’hui en faillite sans un centime en caisse, donnait l’année dernière 80 francs de dividende pour 125 francs versés, et avait ainsi poussé ses actions jusqu’à 1,000 francs. Quel était le résultat effectif de cette manœuvre? Les bénéficiaires de la prime ont réalisé 500 francs par action, que l’agent de change leur a comptés en beaux écus. Les détenteurs du titre ont pu, pendant la période de hausse, dépenser un revenu de 80 francs, sans préjudice de la dépense à laquelle ils étaient sans doute incités par la possession d’un titre représentant une disponibilité de 1,000 francs. Il y a donc eu à un certain moment une addition au capital préexistant, une plus-value de 580 francs au moins par chaque action négociée ; majoration illusoire, mais agissant d’une façon efficace sur les marchés tant qu’a duré la confiance à la hausse, et tout cela sans que la contrepartie, la production du pays, ait été augmentée d’un grain de blé, d’un mètre d’étoffe. C’est par la multiplicité et la coïncidence des opérations semblables que s’est produit le phénomène que nous étudions en ce moment, l’enchérissement exagéré de toutes choses. Je reviens à la société écroulée que j’ai prise pour exemple.

Aujourd’hui le détenteur de son titre subit une perte sèche de 125 francs représentant le versement primitif, et de 500 francs pour la prime qu’il a payée, soit ensemble 625 francs, et il reste exposé à un rappel de 375 francs par le syndic de la faillite. La puissance collective du pays pour les achats, un instant surfaite, est retombée à ce qu’elle était avant l’opération. On pourrait donc dire à la rigueur qu’il y a eu, non pas destruction du capital national, mais un simple déplacement. La perte pour le pays n’en est pas moins très réelle; elle résulte évidemment en pareil cas de la perturbation dans toutes les affaires, des capitaux détournés des emplois productifs, des entreprises commencées auxquelles on ne peut donner suite, des chômages, des faillites inévitables et de la confiance évanouie.

Cette analyse, exacte pour les opérations au comptant, ne serait pas également applicable aux opérations à terme, beaucoup plus nombreuses et plus importantes que les premières. On a compris, en effet, que lorsqu’il y a vente réelle et livraison de titres que transforment à volonté en numéraire effectif, on a créé du numéraire dans la mesure de la hausse, autrement dit, une sorte de papier fiduciaire. Mille francs de rente en 1874 étaient au pair de 500 fr. Portés en 1881 à 119, la force d’achat inhérente à ce titre s’est trouvée augmentée de 3,800 francs, et la hausse a réagi sur le commerce comme s’il y avait eu émission supplémentaire de 3,800 fr. en billets de banque. Il n’en est pas de même dans les opérations