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Un an plus tard, dans les derniers mois de 1882, ces mêmes valeurs avaient perdu 2,960,644,000 francs, soit un peu moins de 24 pour 100. Le même calcul recommencé au jour où nous sommes (septembre 1883), accuse une perte beaucoup plus forte: 5,291 millions, soit 42 pour 100 environ[1], déchéance qui n’est pas aussi prononcée qu’elle devrait l’être, parce que des valeurs à peu près mortes, n’ayant plus de marché, restent immobiles aux anciens cours.

Le plus grand embarras dans les crises de cette nature, ce n’est pas l’abaissement nominal des cours de bourse, c’est la difficulté pour les gens engagés dans les affaires de se procurer l’argent dont ils ont besoin avec des titres en défaveur ; c’est aussi la situation fausse et dangereuse des actionnaires qui, n’ayant opéré qu’un ou deux versemens, sont exposés à des appels de fonds complémentaires. Un relevé publié il y a deux ans constatait que, pour 24 sociétés financières dont le capital nominal montait à 1,881 millions, il n’y avait que 758 millions versés, et les versemens étaient-ils toujours sincères?

La crise dernière a soulevé une question qui n’a pas été nettement élucidée ; elle est, en effet, fort complexe.

On entend souvent dire, et même par des personnes autorisées : « La chute des valeurs mobilières, désastreuse pour un certain nombre d’individus, n’est pas un appauvrissement réel pour le pays pris dans son ensemble : ce que l’un a perdu, un autre le gagne; il y a déplacement de richesse et non pas ruine. » Ceci demande une explication : nous la trouvons en revenant sur ce qui a été dit précédemment.

Quand le détenteur d’une action de 500 francs la vend au comptant avec une prime de 100 francs, ce bénéfice aussitôt réalisé augmente d’autant son avoir, il possède 600 francs, qu’il peut appliquer à ses dépenses : mais l’acheteur se croit-il appauvri? Pas le moins du monde. Il possède en contrepartie un titre valant 600 francs, qui lui apporte un revenu, et dont il peut espérer un bénéfice ultérieur, titre qu’il peut donner en paiement, ou transformer instantanément en monnaie comme un billet de banque. De part et d’autre, le pouvoir d’achat est égal. Il y a donc, à ce moment, majoration du capital collectif, augmentation bilatérale de revenu et enrichissement dans la mesure de la prime acquise. Ce fait étant

  1. Il est difficile de comparer, avec une parfaite exactitude, les données du moment actuel, septembre 1883, avec les cours de 1874 et 1881, qui ont été pris pour points de comparaison. Des changemens notables ont résulté de la conversion du 5 pour 100, des fusions de sociétés, telles que le Crédit foncier et la Banque hypothécaire, des réductions de capitaux et de la disparition totale de quelques sociétés.