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du pays en relevant pour les grandes productions les prix des principales marchandises, d’après les statistiques officielles qui procèdent par des généralités et inscrivent seulement les cours des matières premières. Il est résulté de ces diverses méthodes des estimations tellement arbitraires, tellement divergentes, tellement invraisemblables le plus souvent, que leur impossibilité saute aux yeux.

Pour revenir à la réalité, il faut d’abord établir bien nettement la notion du revenu. On me pardonnera les détails un peu arides dans lesquels je vais entrer : ils sont indispensables pour éclairer le problème que j’agite.

L’obscurité en ces matières provient de ce que l’on confond habituellement dans le langage commun la rente et le revenu. La rente est une redevance que l’on touche sans travail, le revenu est l’ensemble des ressources dont chacun dispose pour vivre. Qui dit revenu, dit moyen de consommation, pouvoir d’achat: tout le monde consommant et achetant plus ou moins, il s’ensuit que tout individu isolé ou toute famille a un revenu petit ou grand. Le revenu de l’industriel est ce qui lui reste pour ses besoins personnels après paiement de tous ses frais. Le revenu du fonctionnaire ou du commis est son traitement, celui de l’ouvrier est son salaire. Des employés de diverses catégories, commis de commerce, ouvriers des champs, domestiques, soldats, sont nourris : la nourriture est une consommation qui fait partie de leur solde et qui doit être évaluée dans leur revenu. Le mendiant lui-même a pour moyen de consommation, c’est-à-dire pour revenu, ce que la charité lui donne.

Grands ou petits, les revenus de toute nature, sans aucune exception, aboutissent directement ou par voie détournée à un achat et à la consommation d’une production matérielle, d’un objet échangeable. Analysez l’emploi d’une fortune quelle qu’elle soit. Un capitaliste réalise 100,000 francs de revenu ; une partie est employée pour ses besoins personnels et ceux de sa famille : c’est la consommation directe. Une autre partie de son avoir est consacrée à rémunérer des services immatériels : c’est la consommation indirecte ; il a payé des médecins, des professeurs, des artistes, il a fait des libéralités à des amis: ceux-ci, à leur tour, donnent satisfaction à leurs besoins en achetant et en consommant des objets matériels, et ils livrent à d’autres, pour solder divers services, des sommes qui entrent dans la composition des revenus de ceux-ci. Descendez d’échelon en échelon, en continuant cette analyse, et vous verrez que la fortune du riche se désagrège pour ainsi dire, et par les paiemens qu’il a faits pour solder des utilités ou des jouissances, les 100,000 francs de son actif ont servi de proche en proche à des consommations d’objets matériels provenant de l’agriculture ou de l’industrie.