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vaniteuses, curieuses et dépravées, ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux ! »

M. Dumas lui-même a senti que le défaut le plus grave de ce nouveau théâtre et le plus dangereux pour son avenir est qu’il manque d’humanité. Quand le public, d’abord soumis par la force et l’originalité des raisonnemens, sera revenu de sa surprise, il pourra se révolter contre de telles rigueurs. Il s’irritera de ne pas trouver dans ces ouvrages une plus franche connaissance de la nature, une plus douce indulgence envers elle, et, — pour parler à peu près comme Shakspeare, — un peu de ce fait fortifiant de l’humaine tendresse. Par deux fois, dans la préface de la Dame aux camélias, dans la préface de la Visite des noces, M. Dumas a réservé les droits de l’amour, et la seconde fois plus expressément que la première, comme si de prévoyans scrupules harcelaient sa conscience : — quand la femme a fait à l’homme le sacrifice de son honneur, quand l’homme, en récompense, lui a engagé sa vie, « nous ne sommes plus dans l’adultère, nous sommes dans l’amour, et l’amour excuse tout. » Mais ces réserves sont écrites dans des préfaces, tandis que la loi contre l’adultère, absolue et sans pitié, parle sur la scène. L’auteur, ici, n’avertit pas le public que personne puisse trouver grâce devant lui ; malgré ses commentaires d’entr’acte, son théâtre, aux yeux de la postérité, sera suspect d’injustice envers l’amour.

MM. Meilhac et Halévy ne se soucient pas de se compromettre contre un si puissant dieu : à légiférer pour toute la terre, on risque de le rencontrer quelque part et de le froisser ; ils ne s’y hasardent pas. Ils se cantonnent dans un petit coin, où ils n’ont guère de chance de le frôler; et, dans ce petit coin, ils trouvent une démonstration de la vanité de l’adultère, la plus élégante et la plus nette qui se puisse imaginer.

C’est qu’aussi bien la meilleure façon de discréditer l’adultère est d’en montrer la vanité plutôt que le crime, et le dernier mot de la Visite de noces est: « A quoi bon? » Mais, à montrer cette vanité, la comédie enjouée convient peut-être autant que la comédie sarcastique ou le drame; encore peut-elle choisir de railler davantage ou la frivolité de la femme ou l’égoïsme de l’homme. Est-ce le premier parti que préfère l’auteur? Il montrera que la femme ne cesse d’aimer son mari que parce qu’il est son mari et ne désire un amant que parce qu’il serait un amant; il écrira Divorçons, ou, s’il n’est qu’un précurseur, et seulement capable d’une esquisse, Brutus, lâche César! Mais, de bonne foi, le second parti n’est-il pas le plus juste? dans cette « mixture » qu’analyse M. Dumas, n’est-ce pas la femme qui met, d’ordinaire, le meilleur? Ne se méprend-elle pas, au moins, sur elle-même et sur son complice? Ne croit-elle pas voir, bien souvent, dans