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REVUE DRAMATIQUE

Gymnase : la Petite Marquise (reprise).

La Petite Marquise, de MM. Meilhan et Halévy, a passé des Variétés au Gymnase ; apparemment, ce n’est qu’un détour : la Comédie-Française était embarrassée pour emprunter directement d’un théâtre de farce ; l’ancien théâtre de Madame s’est mis entre les deux. Ce retard a des avantages : une trop soudaine élévation eût peut-être étonné le public ; dans ce premier degré, en voyant la pièce dégagée des acteurs qui l’ont jouée à l’origine, les plus défians comme les plus distraits en connaissent déjà mieux la valeur ; d’autre part, après quelques années d’attente qui se seront jointes à ces dix premières, l’ouvrage aura perdu ce qu’il avait, en son neuf, d’un peu scandaleux. Je souhaite seulement qu’il retrouve alors une distribution pareille à celle que j’indiquerais aujourd’hui, si j’étais maître d’organiser une représentation pour mon plaisir : Mme Samary faisant la femme, M. Coquelin l’amoureux, et M. Thiron le mari, on oserait s’apercevoir que la Petite Marquise est un chef-d’œuvre ; il est vrai que, dans vingt ans et peut-être avant, et sûrement après. On osera le dire.

La Petite Marquise est un chef-d’œuvre en son ordre, qui est celui de la comédie de genre ; j’ajouterai que c’est le chef-d’œuvre d’un procédé particulier. C’est l’exemplaire achevé d’un art bouffon, mais ironique, tout à fait rare au théâtre, dont la pointe subtile pique au bon endroit et va, comme par jeu, plus avant que des armes plus effrayantes. Les mœurs paraissent à peine effleurées, et le cœur humain est touché, tant l’outil de précision est aigu, le point choisi, la blessure fine. Le sang ne paraît pas, et l’assistant ne peut se récrier contre l’injuste cruauté de l’opérateur, mais le coup de cette main