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jugement du public et qui solliciteraient l’étude des amateurs par toutes les séductions de l’inconnu. Les œuvres seraient rigoureusement examinées par le jury, qui se montrerait plus sévère cette fois et qui se souviendrait qu’une centaine de toiles, peut-être plus, auraient pu être écartées par lui, en 1883, pour le plus grand avantage de l’entreprise. Chargé de veiller à la porte du temple, il n’y laisserait pénétrer que les fidèles ayant approfondi par de longues méditations les mystères de l’art pur, ce dieu inconstant et presque insaisissable. La camaraderie, — fléau de notre époque, — serait définitivement bannie de ce concours, et, pour ajouter plus de prix à la réception des œuvres, le nombre même des ouvrages reçus serait encore diminué. Demander aux artistes français de produire mille cinq cents chefs-d’œuvre en trois années peut paraître une prétention exagérée. Comme la maison de Socrate, trop grande encore pour n’être remplie que d’amis véritables, le Salon serait trop largement ouvert, ne fût-ce que pour un millier d’œuvres, si on était absolument décidé à n’y introduire que des ouvrages de premier ordre.

Enfin, l’état se doit à lui-même quelque chose de plus. L’abnégation avec laquelle il a abandonné le palais qui lui appartient, à l’époque la plus favorable, pour ne le reprendre que lorsque Paris est vide, les jours trop courts, la lumière trop rare et trop changeante, était une audace généreuse. Elle n’a pas eu pour conséquence de faire échouer la tentative, mais l’expérience ne pourrait être renouvelée sans danger. Si nous avions donc un vœu à exprimer au sujet de la seconde Exposition triennale, nous souhaiterions qu’elle ouvrît ses portes au printemps. Ce n’est pas sous le ciel gris de la fin de septembre que doit être inaugurée la prochaine exposition d’état, c’est sous le gai soleil de mai, la plus charmante des saisons, au moment où, dans la nature, tout fleurit et tout reverdit. Paris, lui-même, le vieux Paris rajeunit alors au souffle frais du printemps; partout, le long de ses boulevards, le long de ses promenades, éclatent les panaches blancs et roses des marronniers à travers les bourgeons gonflés de sève, au milieu des verts délicats de la feuille naissante, sous les caresses d’un ciel bleu clair. Alors Paris est bien dans Paris, c’est la fête des yeux, c’est la fête des couleurs: ce doit être la fête de l’art, et quand l’état veut montrer au monde où en est l’école française, il faut, pour que cette constatation soit solennelle et rassurante, la présence, aux Champs-Elysées, de cet aréopage délicat qui, quoi qu’on en dise, fonde les réputations, crée les succès, consacre le talent, collectionne les œuvres d’art, et donne encore le ton à l’étranger.


GUSTAVE OLLENDORFF.