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une réunion choisie d’œuvres ayant déjà, pour la plupart, subi l’épreuve du jugement public, et dont l’ensemble donnerait le niveau le plus élevé de la production contemporaine.

La séparation projetée, presque décrétée dès ce moment (Journal officiel de décembre 1878), aurait un autre avantage. Elle n’immobiliserait aucun talent dans l’une ou l’autre des deux catégories que nous venons de définir. Déjà le Salon annuel permettait au peintre épris de l’idéal de présenter tous les ans, sur un marché toujours plus étendu et plus rémunérateur, les fruits de son travail désintéressé, L’Exposition nationale, ou récapitulative, ou triennale, offrirait l’occasion à l’artiste que séduisent davantage les réalités pratiques de l’existence, de cesser de sacrifier au goût des acheteurs, pour s’essayer dans une entreprise plus haute. Il prouverait ainsi aux amis trop éthérés de l’art pur que le souci de la production quotidienne et les besoins de la lutte pour la vie ont pu voiler en lui, sans la détruire, la vision fortifiante de l’idéal. Tant de raisons, dont les faits démontraient et augmentaient la force depuis 1878, devaient déterminer l’état à créer enfin, à côté de l’Exposition annuelle devenue, par la force des choses, l’exposition de tout le monde, cette exposition nouvelle, destinée à maintenir les grandes traditions artistiques du pays et à rassembler les œuvres désintéressées.

Tel a été le but de l’Exposition nationale qui s’est ouverte aux Champs-Elysées le 15 septembre 1883. L’état, qui a cessé de prendre la responsabilité et la direction des Salons annuels, devait, sans entrer dans les querelles d’école, — sans créer d’art officiel, — essayer d’y consacrer les ouvrages vraiment élevés, et aider ainsi à l’éducation du goût public.


Ceux qui ont la responsabilité et le souci de la protection de l’art en France et auxquels sont confiés les crédits votés chaque année, par les chambres, pour assurer le concours de l’état au grand mouvement de protection artistique dont l’influence est prépondérante sur notre production industrielle, l’ont compris. Ils n’avaient plus pour unique mission de favoriser le succès, désormais assuré, des Salons entrepris par la société des artistes ; mais ils devaient se préoccuper d’organiser à bref délai, dans les meilleures conditions possibles, l’exposition de l’art, réclamée par le rapport de 1878. Le conseil supérieur des beaux-arts fut réuni, et l’élite compétente et éclairée qui le constitue se prononça pour une expérience immédiate ; mais il dut reconnaître bientôt qu’elle n’allait pas sans quelque difficulté.

Ces difficultés ne résidaient pas dans la constitution du jury ou dans l’exacte limitation du nombre des œuvres qui seraient admises.