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agit autrement, elle se place dans une situation d’infériorité, elle est en péril. Le danger est d’autant plus grand que le gouvernement des compagnies appartient à une caste de réactionnaires et de cléricaux. Et, à l’appui de cet exposé, M. Lockroy crut devoir lire les noms des membres des conseils d’administration, — la liste des personnages du drame, — pour mieux démontrer que la république ne peut se fier à ce personnel dirigeant dans lequel figurent, à côté des principaux banquiers et au milieu de marquis, de comtes, de vicomtes et de barons, quelques anciens ministres ou sous-ministres du 16 mai. La lecture de cette liste de suspects produisit dans la chambre une certaine émotion, presque un effet de scène. L’argument parut généralement médiocre et d’un goût douteux; il provoqua les protestations de députés républicains qui, faisant eux-mêmes partie des conseils d’administration, se montrèrent justement froissés de l’espèce de dénonciation dirigée contre leurs collègues. Au surplus, la révélation à laquelle l’orateur venait de donner la publicité de la tribune ne pouvait avoir d’autre résultat que d’inspirer pleine confiance dans des conseils où siègent des hommes éminens, justement considérés, habitués par les traditions de leur carrière à traiter les affaires dans le sens élevé des intérêts du pays et possédant l’autorité nécessaire pour imposer, le cas échéant, à leur compagnie les efforts et les sacrifices que demanderait le patriotisme. — Le discours de M. Lockroy porta sur d’autres points, notamment sur le service des lignes stratégiques, sur les mécaniciens, sur les ouvriers étrangers; mais, ainsi que le fit observer le ministre des travaux publics, ces critiques, très contestables d’ailleurs, ne pouvaient avoir qu’une conclusion : le rachat; or la majorité de la chambre était acquise au régime des conventions.

La querelle relative aux conseils d’administration se ralluma dans la séance du 2 août, lorsque fut examinée la convention passée avec la compagnie de l’Est. La situation topographique de cette compagnie, dont les lignes aboutissent à la frontière allemande, fournissait l’occasion naturelle de rouvrir le débat et de faire appel au sentiment du patriotisme. Dans une précédente séance, la chambre avait repoussé un amendement par lequel M. Bienvenu, désireux de sauvegarder les intérêts de l’état, avait proposé que les conseils d’administration des compagnies fussent composés de membres désignés en nombre égal par le gouvernement et par les actionnaires. M. Madier de Montjau reproduisit l’amendement en l’appliquant seulement à la compagnie de l’Est et en attribuant de plus à l’état le droit de nommer le directeur. Par trois fois, il monta à la tribune, d’où sa parole ardente et pleine de colères se déchaîna