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De l’influence que les tarifs des voies ferrées peuvent exercer sur la direction des transports, sur les destinées de l’agriculture, sur les prix de revient de l’industrie, sur la concurrence intérieure et internationale, il conclut à la compétence exclusive de l’état pour régler ces tarifs et à l’incompétence du conseil d’administration qui, dans les compagnies, représente une association d’intérêts particuliers. M. Waddington pénétra plus avant dans les détails ; il critiqua comme étant trop élevés les tarifs des voyageurs et ceux des marchandises; il signala les différences, non justifiées suivant lui, qui existent entre les taxes des diverses compagnies ; il compara les tarifs français avec les tarifs étrangers. On s’imagine ce qu’il y eut de chiffres dans ce discours! Puis les chiffres de M. Waddington furent contestés par le président de la commission, M. Lebaudy, fort expert, lui aussi, en ce genre d’études, si bien qu’après avoir entendu ou lu cette ingrate discussion, l’on serait tenté de prendre en horreur la statistique, ses chiffres, et surtout ses moyennes. Mais là n’était point la difficulté. M. Allain-Targé pouvait avoir raison, sinon quant au principe, du moins dans l’indication des dangers que présente un tarif arbitraire (et ces dangers ne seraient pas moindres avec un tarif d’état); M. Waddington n’avait certainement pas tort de réclamer l’abaissement général du prix des transports pour les voyageurs et pour les marchandises. Seulement, les conventions de 1883 n’y pouvaient rien. Pour obtenir des compagnies l’abandon de leur tarif, il aurait fallu au moins que l’état garantît les dividendes acquis. Pour réduire dans une grande proportion les prix de transport, il aurait fallu subir une perte sensible dans les recettes de l’exploitation, et cette perte eût été au compte du budget. Or l’on venait de traiter précisément pour alléger les charges du trésor; ce n’était donc pas le cas, ni le moment, de pratiquer le système de M. Allain-Targé, ni d’entrer dans les vues de M. Waddington. Cette objection, développée par le ministre des travaux publics et par le rapporteur, était décisive.

L’attention de la chambre, visiblement fatiguée par les conflits de la statistique, se réveilla lorsque M. Lockroy vint attaquer les conventions en invoquant l’intérêt supérieur de la défense du territoire. D’après l’orateur, il est imprudent de livrer à des banquiers et à des capitalistes une arme de guerre aussi puissante que le réseau des voies ferrées. En cas de mobilisation, le moindre retard, la moindre faute peut entraîner des malheurs incalculables. Voyez l’Allemagne : là, tous les chemins de fer sont sous la main de l’état-major; le gouvernement est propriétaire des grandes lignes stratégiques, et il a organisé le réseau dans les conditions les plus favorables pour les mouvemens des corps d’armée. Si la France