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Ce fut une escarmouche qui ne manqua ni d’animation, ni même d’aigreur, et par laquelle les adversaires des conventions commencèrent à se compter. Au vote, 111 voix seulement se prononcèrent pour l’ajournement, et 385 pour la discussion prochaine demandée par les ministres. Dès ce moment, après l’échec de la première manœuvre d’opposition parlementaire, il était certain que le gouvernement et les conventions auraient gain de cause.

La discussion s’ouvrit donc le 16 juillet, et elle remplit quatorze séances pour ne se terminer que le 2 août, dernier jour de la session. Elle fut jusqu’au bout des plus ardentes. Les projets de loi eurent pour adversaires MM. Madier de Montjau, Allain-Targé, Wilson, de La Porte, Lesguillier, Waddington, Lockroy, Camille Pelletan, Jean David, Sourigues, Achard, etc., les uns s’attaquant au principe même des conventions, les autres critiquant telle ou telle de leurs clauses, ou proposant des amendemens qui en auraient plus ou moins altéré le caractère. Ils furent défendus par MM. Loubet, George Graux, Léon Renault, Lebaudy, par le rapporteur, M. Bouvier, et par les membres du gouvernement, M. Raynal, ministre des travaux publics, M. Baïhaut, sous-secrétaire d’état, et M. Tirard, ministre des finances. Décrire ce long débat en reproduisant les opinions successivement exprimées par chacun des orateurs, ce serait nous exposer à de fréquentes redites; il est préférable de classer avec ordre les argumens et de mettre en relief les questions qui ont arrêté plus particulièrement l’attention de la chambre.

En première ligne nous voyons apparaître l’argument tiré du droit souverain de l’état, droit inconciliable avec le régime des concessions et avec le maintien des grandes compagnies. Ce fut M. Madier de Montjau qui, au nom de ses collègues de l’extrême gauche, se chargea de soutenir cette thèse prétendue démocratique dans une allocution violente où éclatait à chaque phrase la déclamation que le sujet comporte. Retraçant à sa façon l’histoire des chemins de fer, il évoqua, comme il est d’usage, le spectre de la féodalité, les seigneurs, les vassaux, les serfs, la ploutocratie nourrie et engraissée par la substance du peuple, « et conduisant la démocratie à l’abattoir. » Cette éloquence à la Cassandre obtint, d’après le compte-rendu, de vifs applaudissemens, mais elle ne pouvait avoir la prétention d’entraîner les votes. La cause était entendue avant que l’orateur radical eût parlé. Cette salve oratoire, tirée en l’honneur du principe, avait fait plus de bruit qu’elle n’avait causé dédommages dans les rangs adverses, et cependant M. Madier de Montjau ne s’était privé d’aucun moyen pour atteindre directement quelques-uns de ses contradicteurs. Il avait devant lui d’anciens