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l’aide desquels il se met en mesure de répondre à la mission qu’il tient de la nature des choses, c’est-à-dire de la nécessité elle-même. Nous voilà assez loin, comme on le voit, d’une confrérie vivant sur le bien de tous, car c’est pour le bien de tous que celle-là est organisée auprès des tribunaux. Qui donc peut se plaindre de la discipline qui lui est imposée dans l’intérêt commun, et de l’indépendance qui lui est nécessaire pour répondre à cet intérêt? Ce n’est pas sans quelque surprise que l’on consulte les débats de l’assemblée constituante sur le point qui nous occupe, alors que les mots de privilège et de monopole donnaient le vertige à tous les esprits, alors qu’il s’agissait, non des avocats, qui ne formaient plus un ordre, mais des avoués, qui allaient rester attachés aux tribunaux. Ces mots revenaient sans cesse dans la discussion et y jetaient le trouble; mais toutes les arguties se dissipèrent devant cette simple question, qui se dégagea d’elle-même comme un trait de lumière : Oui ou non, les avoués sont-ils nécessaires? S’ils sont nécessaires, ils n’enlèvent aucun droit à personne; ils remplissent uniquement une mission qui leur est confiée dans l’intérêt public. « Avant d’établir des raisonnemens sur l’inadmissibilité des privilèges, il faut les définir, disait Chabroud. J’entends par privilège une exception d’obéissance à la loi. Lorsque la loi attribue à des citoyens quelques fonctions, ces individus n’ont point de privilège; ils ont une mission déléguée par la loi. » A quoi Tronchet, avec son autorité, ajoutait dans la séance du 16 décembre 1790 : « J’écarte cette misérable objection tirée de la dénomination de privilège. Les officiers ministériels ne sont pas une classe privilégiée, si c’est la nécessité publique qui exige que vous leur attribuiez les fonctions exclusives, mais leurs fonctions sont un privilège de la société entière. Est-il vrai que l’intérêt public exige l’existence des avoués auprès des tribunaux? Ici l’intérêt public est l’intérêt du justiciable, car c’est pour lui que les tribunaux sont établis. Si vous ouvrez la porte des tribunaux à tous les inconnus qui s’y présenteront, vous appellerez tous ces malheureux solliciteurs de procès qui ont toujours été regardés comme des pestes publiques. Vous n’avez pas le droit d’obliger un plaideur de confier ses pièces au défenseur inconnu qu’aurait choisi la partie adverse, car qui empêcherait ce dernier de disparaître avec les pièces qui lui auront été confiées? » La question fut coulée à fond, et alors passa dans la loi du 15 décembre 1790 la disposition qui admit les avoués auprès des tribunaux.

Le barreau, qui ne formait plus un ordre, avons-nous dit, échappait au débat; il n’y fut même pas fait allusion. On se plaît à se demander ce qui en eût été s’il avait alors conservé le lien de l’association. Aurait-on vu là une compagnie privilégiée? À cette préoccupation