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des décisions fraternelles, de ramener la paix entre leurs concitoyens. » On touchait à l’âge d’or; l’idéal des sociétés, la paix universelle, allait régner sur la terre ; c’est par un embrassement de famille que toute contestation devait finir. Tant de mansuétude dans les mœurs, de clairvoyance dans les esprits, de bonne foi chez les citoyens étaient bien loin cependant de rassurer tout le monde, et justement impatienté par l’étalage de pareilles rêveries, Chabroud répondait sèchement : « Tant que les hommes subsisteront, il y aura des procès; il faudra donc que l’on plaide et que les tribunaux interviennent. » Sur ce point, l’expérience s’est chargée de dissiper les illusions. L’assemblée constituante s’était égarée, mais, dans ses erreurs, elle nous apparaît encore avec le désir sincère qu’elle avait de servir la liberté. Le violent démenti qu’elle a reçu a longtemps pesé sur la justice, on ne saurait l’oublier. Le barreau a reconquis son indépendance péniblement, mais il est maître de son tableau et ne relève ni de la magistrature, ni du pouvoir. C’est sous ce régime que se sont révélés, dans le passé, des jurisconsultes d’une éclatante renommée, des orateurs comme Gerbier; dans le siècle présent, pour ne parler que des morts, des hommes comme les Dupin, Berryer fils, Mauguin, Paillet, Bethmont, Chaix d’Est-Ange, Dufaure, Jules Favre, tant d’autres, sans compter ceux que chaque cour, chaque tribunal pourrait ajouter au barreau de Paris. On conçoit qu’en réorganisant leurs tribunaux, les divers états aient eu la pensée de puiser à cette source, afin de placer à côté de la justice un barreau digne d’elle. Sous ce rapport, les travaux de la Société de législation comparée offrent un véritable intérêt.


II.

Il ne saurait être question de la Belgique et de l’Angleterre. Dans ces deux pays, il existe depuis longtemps un barreau fortement organisé. La Belgique a traversé nos épreuves et subi nos vicissitudes, car elle devenait française en 1795 et était; soumise à nos lois. Elle a connu les défenseurs officieux ; comme nous, elle a vu ses tribunaux envahis par des agens de la pire espèce, — avocats sous l’orme, suivant une heureuse expression, — dont elle fut également délivrée par le décret de 1810. C’est après 1830 qu’à notre exemple, elle est entrée dans une voie plus large. Les dispositions rigoureuses et pesantes du décret impérial, atténuées dans l’usage, firent place à un arrêté, du 5 août 1836, qui, confondant les grandes traditions françaises avec celles que la Belgique elle-même trouvait dans son propre passé, a posé les règles protectrices des franchises dont le barreau y jouit depuis cette époque.