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ou tout au moins il ne s’en préoccupait point, et nul n’avait le droit de rechercher si celui qui se présentait à l’audience était le vir bonus d’autrefois, ou quelque aigrefin capable de tromper tout ensemble les cliens et la justice. L’ordre, qui jusque-là avait maintenu le barreau dans le respect de ses devoirs et la règle de la plus rigoureuse probité, était supprimé, conformément à la conception de Bergasse, et c’est en présence d’avocats d’un nouveau genre, rendus absolument libres, déliés de toute obligation professionnelle, que les tribunaux allaient fonctionner. Le titre de défenseur officieux appartint à qui voulut le prendre, et tout le monde le prit.

L’expérience se fit, et elle fut lamentable. Tout aussitôt, en effet, le prétoire des tribunaux fut envahi par des personnages dont on ignorait l’origine, et les débats n’offrirent plus de sécurité. Ce qui restait d’anciens avocats s’éloigna d’audiences où ils n’avaient à rencontrer le plus souvent que des inconnus, que des hommes suspects à qui ils n’osaient communiquer leurs pièces, et dont ils n’avaient eux-mêmes à attendre aucune communication. Quelques-uns essayèrent d’accompagner leurs cliens à ces audiences; saisis de dégoût, ils finirent par se retirer sans retour. Du nombre était Berryer père. Il a dit, dans ses Souvenirs, à quels dangers, à quelles ruses étaient livrés les plaideurs, à quels pièges était exposée la justice. Il a raconté les scènes burlesques dont il fut témoin. Se trouvant en face d’un adversaire qui croit bien faire en lisant toutes les pièces de son dossier, il lui fait poliment remarquer qu’il peut se dispenser de ces lectures, mais il en reçoit cette réponse: « J’aime lire, moi. » Sur quoi, le président, pour couper court à une interminable plaidoirie, déclare que la cause est entendue, que le tribunal examinera lui-même les pièces et jugera. Dès 1797, et même avant, des plaintes s’élevaient de toutes parts, et le pouvoir était mis en demeure de venir au secours des citoyens obligés de s’adresser à la justice. Un orateur, Riou, disait au conseil des cinq-cents : «Autrefois, on avait une garantie authentique de la probité, de la bonne conduite, de la capacité de ceux qui étaient chargés de l’instruction des affaires ou de la défense des parties. Aujourd’hui, l’ignorance s’assied à côté du légiste, et l’inexpérience présomptueuse et cupide rivalise avec le talent éprouvé par l’étude et couronné par le succès. » Il ne trouvait pas d’expression pour flétrir assez ces défenseurs officieux à qui la loi n’avait même pas imposé de diplôme. « L’improbité et le charlatanisme occupent les avenues de tous les tribunaux et ne connaissent plus ni tarif dans les vacations, ni pudeur dans les honoraires. Ces sangsues infâmes mettent chaque jour les citoyens à contribution