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Thouret; à Rennes, Chapelier; à Grenoble, Chabroud; à Nancy, Régnier; à Douai, Merlin; à Bordeaux, les plus illustres avocats de la Gironde. L’ancien barreau avait-il manqué à ses devoirs et fallait-il qu’il en portât la peine ? Jamais on ne l’a prétendu. Sa constitution non écrite, mais toute libérale, n’avait donné prise à aucune des réclamations du temps. Il y a plus : dans la nouvelle organisation judiciaire, c’est sur le barreau qu’on jetait les regards; seuls, les avocats semblèrent digues de composer les tribunaux ; et, en effet, ils y figurèrent en si grand nombre que la barre en parut déserte. Il suffit au surplus de relire les débats de cette époque pour être bien convaincu que, dans la pensée de l’assemblée constituante, le barreau ne fut point l’objet d’une disgrâce. Il n’est pas un orateur qui ne rende hommage à l’utilité et à la pureté de ses talens. On l’idéalise au contraire. Dans la séance du 13 décembre 1790, le rapporteur du comité de constitution, Dinocheau, en parle dans des termes qui touchent au lyrisme : « Nous avons trouvé dans la nature même des choses, dans les grands principes des nations libres, dans l’utilité publique, dans le droit imprescriptible du talent et du courage, qu’il fallait donner à la liberté de la défense une plus grande latitude. Sous une constitution bienfaisante et dont les maximes fraternelles rapprochent tous les hommes, les relations de confiance et d’intérêt doivent resserrer encore ces liens ; il n’est pas un seul d’entre eux qui n’ait le droit de défendre un autre citoyen : Homines interest alterum hominem beneficio affici. Ce patronage, connu des Romains, prit sa source dans les fondemens mêmes de la société. Heureux celui que la nature et le travail ont destiné à devenir le protecteur de ses semblables, et à exercer le plus noble des ministères! Tels seront les défenseurs officieux. Les ci-devant avocats qui ne rempliront pas les places pourront suivre cette belle carrière ; elle les ramène à leur institution primitive, et l’éloquence, consacrée à la défense des citoyens, montrera d’avance à la nation les hommes qui doivent un jour soutenir ses droits dans l’assemblée des législateurs. »

Les ci-devant avocats allaient donc devenir des « défenseurs officieux » devant les nouveaux tribunaux. Assurément il était facile de prendre dans l’ancien barreau, si solidement organisé, si merveilleusement préparé au plus noble des ministères, pour parler comme le rapporteur, des défenseurs habiles et intègres et de les offrir au choix des plaideurs. Mais ces hommes, qui les remplacerait un jour? Quelles garanties donneraient ceux qui ne sortiraient pas de cette grande école, car le libre concours allait être admis à la barre des tribunaux? Observons l’assemblée dans la poursuite de son utopie. Voilà les tribunaux organisés, il n’y a plus que des tribunaux de