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L’ANTAGONISME
DE
L’ART ET DE LA SCIENCE

I. Shairp, Studies in Poetry and Philosophy. — On poetic Interpretation of nature. — II. Taine, Philosophie de l’art. — III. Renan, Dialogues philosophiques. — IV. Sully-Prudhomme, le Premier Livre de Lucrèce. La Justice. — V. Guillaume Breton, Essai sur la poésie philosophique en Grèce.

Il y a une quarantaine d’années, à la fin d’un repas chez le peintre anglais Haydon, le poète Keats leva son verre en proposant le toast suivant : « Honnie soit la mémoire de Newton! » Les assistans furent assez étonnés, et Wordsworth, avant de boire, demanda une explication. Keats répondit : « Parce qu’il a détruit la poésie de l’arc-en-ciel en le réduisant à un prisme. » Et l’on but « à la confusion de Newton. » — La poésie des choses est-elle donc réellement détruite par leur connaissance scientifique? Toute poésie ressemble-t-elle en effet à ce voile multicolore et léger qui flotte entre terre et ciel, à cette écharpe brodée par la lumière que les anciens avaient divinisée et dont Newton mit à nu la trame toute géométrique et terrestre? Dès le XVIIe siècle, Pascal disait ne point faire différence entre le métier de poète et celui de « brodeur. » Cette définition, assez méprisante dans la pensée de Pascal, fut exagérée encore par Montesquieu : « Les poètes, dit-il, ont pour métier d’accabler la raison et la nature sous les agrémens, comme on ensevelissait autrefois les femmes sous leurs parures. » Ces paroles, qui révoltaient Voltaire comme des crimes de « lèse-poésie, » et auxquelles pourtant on n’attribuait pas plus d’importance alors qu’à des boutades, paraîtraient aujourd’hui à un grand nombre de savans et de penseurs l’expression exacte d’une vérité. La poésie,