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du promontoire Syagrus, mais, au lieu de se diriger vers Pattala, on fait route pour un port situé plus au sud, port que Pline appelle Sigerus, que l’auteur du Périple nomme Melizigara, et qui devait se trouver sur la portion de côte comprise entre Bombay et Goa. « Longtemps, dit Pline, on navigua ainsi, jusqu’au jour où un négociant trouva une voie plus abrégée encore. Ce jour-là, on put dire que l’amour du gain avait rapproché l’Inde, il ne fallut pas des années entières pour accomplir ce cycle périlleux; une seule saison suffit. » — « Aujourd’hui, continue Pline, on fait régulièrement un voyage tous les ans; seulement il est indispensable de mettre sur les vaisseaux des cohortes d’archers, car les mers de l’Inde sont infestées de pirates. » Elles l’étaient encore au temps des Portugais, qui eurent souvent de rudes combats à soutenir contre ces flottes irrégulières; elles le furent jusqu’en l’année 1765. À cette époque, les Anglais firent une expédition en règle contre les bandits qui inquiétaient leur commerce et leur infligèrent une leçon dont la piraterie ne se releva pas.

« On se met en mer, ajoute encore Pline, au milieu de l’été, avant la canicule ou immédiatement après. Au bout de trente jours, on arrive soit à Océlis, sur la côte arabique, soit à Cané, dans a région de l’encens. D’Océlis, il faut quarante jours pour atteindre Muziris, — aujourd’hui Mangalore, — premier marché de l’Inde, ou Bacaré, — aujourd’hui Markari, — port plus favorable encore. » Ces deux ports sont situés au-dessous de Goa, sur la côte de Canara et sur celle de Malabar. « On revient de l’Inde dans la même année, au mois de décembre, ou tout au moins avant le 13 janvier. »

Qu’on aille aborder à l’embouchure de l’Indus, à Sigerus, à Muziris, ou à Barace, qu’on parte du cap Syagrus ou d’Océlis, ce n’en est pas moins toujours de la navigation hauturière, et c’est là, — Pline ne l’a pas fait assez ressortir, — la grande découverte du règne de Claude. Cette découverte, nous allons essayer d’en retracer l’histoire; les annales de la navigation n’en ont jamais enregistré de plus importante.


VI.

Le hasard joue un grand rôle dans les affaires humaines. Ce fut un vaisseau dévié de sa route par les courans qui conduisit Alvarez Cabrai au Brésil; semblable accident amena la découverte de la route directe vers les rivages lointains qui se prolongent jusqu’à la Taprobane. Les Romains avaient fait peu de progrès dans la navigation de l’Inde sous le règne de Tibère et sous celui de Caligula. Claude, dont les pensées étaient toujours tournées vers la mer et