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IV.

Nous voici revenus à Myos-Hormos : nous ne savons rien encore de la côte d’Arabie; tournons notre proue vers l’Orient; après deux ou trois jours de navigation, nous aborderons à la côte opposée du golfe. Les Alexandrins entreprenaient cette traversée avec moins de crainte que les bateaux arabes de nos jours. Ces bateaux, jaugeant de 30 à 100 tonneaux, montés par un reis et une quinzaine d’esclaves, n’aiment guère à quitter la côte où ils ont l’habitude de jeter l’ancre toutes les nuits. Un trajet qui dure rarement plus de soixante heures leur paraît une entreprise effrayante. L’Arabe moderne n’est qu’un Sabéen dégénéré. Disons cependant qu’il n’a pas tout à fait oublié le chemin de l’Inde, mais les boutres, qu’il emploie pour ce grand voyage, navires de 250 et parfois même de 400 tonneaux, emportés par deux immenses voiles triangulaires, ne prennent généralement pas pour se rendre à Bombay la route la plus courte ; ils cherchent avant tout la route la plus sûre, remontent presque toujours jusqu’à Mascate, et ne traversent le Golfe-Persique qu’à des époques fixes réglées par les moussons.

Nous voici rendus à Leucécomé, le village blanc : c’est de là qu’est parti Gallus quand il s’enfonça dans l’intérieur. Leucécomé, c’est, pour le docteur Vincent, Moilah. Bien que son opinion n’ait point emporté tous les suffrages, je ne la tiens pas moins pour très plausible. A Leucécomé s’élève un château d’où part une route tracée qui conduit à la ville de Petra, capitale de Malicha, roi des Nabatéens. Malicha commande à un peuple de guerriers. Les Nabatéens n’ont pas passé sous le glaive d’Alexandre : ils peuvent en rendre grâce à sa mort; quelques années plus tard, Démétrius Poliorcète leur infligeait une rude leçon. Les Arabes ne gardent pas un long souvenir de ces assauts : Gallus trouva les Nabatéens aussi peu disposés qu’au temps d’Antigone à subir le joug étranger. Leucécomé sert d’entrepôt aux marchands de la côte, qui, sur de petites barques, y apportent les produits de l’Arabie. Un centurion a été placé à Leucécomé avec quelques soldats; il garde là un poste qui n’est pas sans quelque importance militaire et remplit en même temps les fonctions de percepteur. Sur toutes les marchandises débarquées à Leucécomé le fisc prélève le quart de la valeur.

Aussitôt après le port de Leucécomé commence l’Arabie proprement dite, province qui s’étend sur un grand espace, le long de la Mer-Érythrée. Diverses peuplades habitent cette contrée : les unes