Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De temps immémorial, l’Europe et l’Inde ont échangé leurs produits ; seulement, comme l’a fort justement fait observer le docteur Vincent[1], elles les échangeaient par des voies qui leur restaient inconnues à toutes deux. Un égal mystère planait sur les communications qui suivaient, à travers la Tartarie et la Perse, la voie de terre, et sur celles que favorisait le rapprochement des deux branches du Golfe-Persique. De la côte d’Oman aux rivages de la Carmanie, le trajet, en certains endroits, n’excède pas 40 milles : Néarque nous a prouvé qu’on pouvait, pour peu qu’on eût d’audace, de la Carmanie atteindre, en longeant la côte, les bouches de l’Indus. Les habitans de l’Yemen, connus autrefois sous le nom de Sabéens, étaient tout à la fois robustes, guerriers, et hardis marins : ce peuple navigateur servit, dès les premiers âges, d’intermédiaire au commerce maritime entre l’Asie et l’Europe. Il acquit, à ce double trafic, des richesses considérables et fît en même temps la fortune des Ptolémées, comme il avait fait, à une autre époque, la fortune des Pharaons et la fortune de Tyr. Les comptoirs qu’il avait fondés et fortifiés sur la côte d’Afrique existent presque tous encore aujourd’hui. Les Portugais, quinze siècles après Auguste, trouvèrent le pouvoir arabe établi de Mascate jusqu’à Mozambique.

La soif de l’or a de tout temps enfanté des prodiges : c’en était un, assurément, que d’oser affronter ces mers orageuses sur les vaisseaux que nous a décrits Procope, vaisseaux dont les bordages, au lieu d’être assemblés par des chevilles de fer, étaient tout simplement cousus l’un à l’autre, sans qu’on eût même pris soin de les enduire de poix. « Il y aurait danger à employer le fer dans ces constructions, disaient les voyageurs amis du merveilleux, à cause des montagnes d’aimant dont les mers de l’Inde sont semées. » Sur les vaisseaux des Romains, le fer ne faisait certes pas défaut, et cependant, quand ils firent leur apparition dans ces parages, les Romains ne virent pas les chevilles de leurs navires s’arracher des bordages qu’elles unissaient; il n’y a que le vaisseau de Sinbad le marin qui ait couru ce fâcheux hasard. En réalité, si les Arabes n’employaient pas le fer pour consolider le frêle assemblage de planches auquel ils confiaient leur vie, c’est qu’ils n’en possédaient pas. Une loi sévère, prenant ses précautions contre leur humeur turbulente, défendait sous peine de mort de leur en porter.

Alexandre conduisit les Macédoniens aux sources mêmes du commerce qui avait jusqu’alors passé par les mains des Sabéens. Un peu plus tard, les ambassadeurs que les rois de Syrie envoyèrent à Sandracottus et à son successeur Allitrochades, complétèrent les notions transmises par Aristobule et par Onésicrite. On sut, par

  1. The Periplus of the Erythrean Sea, by William Vincent, D. D. London, 1800.