Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Villeneuve; et c’était le meilleur argument pour l’engager à vivre couchée et à compter les solives souvent.

Le chagrin inondait son cœur. Elle ne disait pas à Joubert la douleur qui la dévorait; elle la confiait à son journal, quand elle était rentrée dans sa chambre d’auberge : « Mont-d’Or. — J’avais le projet d’entrer sur moi dans quelques détails, mais l’ennui me fait tomber la plume des mains. Tout ce que ma position a d’amer et de pénible se changerait en bonheur si j’étais sûre de cesser de vivre dans quelques mois. Quand j’aurais la force de mettre moi-même à mes chagrins le seul terme qu’ils puissent avoir, je ne l’emploierais pas. Ce serait aller contre mon but, donner la mesure de mes souffrances et laisser une blessure trop douloureuse dans l’âme que j’ai jugée digne de m’appuyer dans mes maux. Je me supplie en pleurant de prendre un parti aussi rigoureux qu’indispensable. Charlotte Corday prétend qu’il n’y a pas de dévoûment dont on ne retire plus de jouissance qu’il n’en a coûté de peine à s’y décider; mais elle allait mourir et je puis vivre encore longtemps. Que deviendrai-je? Où me cacher? Quel tombeau choisir? Comment empêcher l’espérance d’y pénétrer? Quelle puissance en murera la porte? M’éloigner en silence, me laisser oublier, m’ensevelir pour jamais, tel est le devoir qui m’est imposé et que j’espère avoir le courage d’accomplir. » Elle ne se sentait pas aimée par Chateaubriand, qu’elle avait jugé digne d’elle.

Il était cependant exact dans sa correspondance. Tantôt tristes, mécontentes, tantôt gaies et d’une inconcevable folie, tantôt pleines d’une admiration communicative pour les monumens de Rome, ses lettres étaient toujours originales. Joubert la réconfortait, et René la troublait. Inquiet, susceptible, prêt, à la moindre contrariété, à abandonner la carrière diplomatique, il donnait à Mme de Beaumont des angoisses que souvent il ne partageait pas. Dès son arrivée au Mont-d’Or, le 8 août, transmettant à Chênedollé une lettre de Chateaubriand, elle ne cachait pas son affliction de ses projets absolument déraisonnables, et elle laissait aller ces mots touchans par leur poétique faiblesse : « Je tousse moins, mais il me semble que c’est pour mourir sans bruit, tant je souffre d’ailleurs, tant je suis anéantie ! » Le secrétaire d’ambassade était en ce moment au plus mal avec son ambassadeur. Le cardinal Fesch haussait les épaules quand il apercevait sa signature. L’aventure de la visite au roi abdicataire de Sardaigne avait été exploitée ; on dénonçait de Rome à Paris les inconséquences de René. Il suppliait dans ses lettres Fontanes et Mme Bacciochi de l’arracher aux honneurs. Son imagination l’entraînant, il parlait de passer en Grèce, de s’enfermer trois mois avec les moines du mont Athos pour apprendre le grec,