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toux l’avaient reprise avec violence, et chaque passant, regardant ce pâle et doux visage, ces longs yeux creusés, s’écriait : « Madame est bien malade ! » — Elle en était impatientée. A peine au Mont-d’Or, elle est prise de désespoir ; les montagnes l’écrasent ; le sentiment de son isolement l’obsède. Elle n’a pas trouvé de lettre de Joubert. a Je suis comme le temps sombre et maussade; pas froide cependant. Ma tristesse même prouve pour moi. » Enfin, les lettres attendues se retrouvent, et elle reprend un peu d’entrain; elle donne à son plus fidèle ami les détails de son voyage, du traitement qu’elle suit, accusant son médecin et maudissant ses lenteurs. Lorsqu’elle se sentait de l’irritation, elle s’étendait sur son lit et comptait les solives du plancher. « Cette aptitude à l’imbécillité, écrit-elle à Joubert, serait assez triste ; elle n’a pas été assez forte pour me faire supporter votre silence sans murmure ; vous avez vu mon chagrin, et si vous saviez ce que c’est que de se trouver seule, malade au milieu d’indifférens et dans un pays perdu, vous me pardonneriez[1] ! » Il n’y a pas jusqu’à Mme Joubert à qui elle n’adresse ses plaintes sur un silence dont les courriers de la poste étaient seuls coupables ; et, sans vouloir y toucher, sa fine plume dessine en courant, malgré la souffrance, tantôt un portrait, celui de Mme Saint-Germain, sa dévouée femme de chambre, et tantôt un coin de paysage: « J’ai ces maudites montagnes sur le nez ou plutôt sur la poitrine; elles m’oppressent véritablement et je n’ai d’autre plaisir dans mes promenades solitaires qu’à les déranger, à les empiler, — enfin à me faire jour quelque part. La Dordogne va son train, s’échappant de partout ; elle court très vite pour fuir ce vilain pays. Elle est limpide et vive, mais elle est toute nue, sans rivage et sans arbres. »

Ces lettres rassuraient-elles Joubert? Il lui était encore impossible de croire que la vivacité qui animait son amie avec une force si constante ne tînt pas à un principe de vie parfaitement conservé. Il fallait surtout faire reposer l’âme. Elle avait tellement lassé et surmené l’enveloppe qui la couvrait ! Pour faire reprendre courage à Pauline[2], Joubert lui citait des moribonds qui étaient devenus des septuagénaires; il lui parlait d’un M. Chazal, ancien conseiller au parlement, vieillard spirituel et gai, qui prétendait que, pour vivre longtemps et se donner le temps de guérir, il fallait constamment se tenir en appétit; il lui parlait d’une vieille religieuse qui supportait ses quatre-vingts ans avec un verre d’eau rougie et un peu de café au fait pris le matin ; il lui parlait surtout de l’incurable fidélité avec laquelle elle était chérie dans un petit coin de terre, à

  1. Lettres de Mme de Beaumont des 20, 23 et 26 août 1803.
  2. Lettres de Joubert des 26 juillet et 23 août 1803.