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à désirer qu’on cessât toute persécution à l’égard des prêtres et qu’on abolit le serment civique; l’école de Mme de Staël se fût contentée de la tolérance loyale et absolue[1]; mais le premier consul n’avait pas souci seulement des sentimens religieux, la police des cultes le préoccupait à un plus haut degré. Il avait fort approuvé ces paroles de son éminent conseiller d’état : « La multitude est plus frappée de ce qu’on lui ordonne que de ce qu’on lui prouve; » et il faisait contracter un mariage de raison entre la révolution et l’ancienne France représentée par le catholicisme. Chateaubriand avait le tact de l’à-propos. Il sentait qu’après l’orage qui avait emporté non-seulement le culte, mais encore le sens des choses chrétiennes, la foule promettait un succès à celui qui se présenterait pour satisfaire le besoin de croire. À côté des rapports de Portails, il fallait, pour les imaginations désaccoutumées des impressions religieuses, un peintre, un poète épris des beautés extérieures et morales du christianisme, plus qu’un théologien. Et voilà pourquoi « il travaillait comme un nègre[2], »

Joubert le poussait aussi. « Achevez, vous corrigerez à la fin. » C’est la conclusion de sa très belle lettre du 1er septembre; et comme, dans un précédent billet, Pauline tout heureuse, ce qui n’était pas son habitude, lui parlait gaîment du degré de renommée où était arrivé un gras animal dont les grillades opimes lui étaient promises, Joubert, charmé par son enjoûment, lui répond sur le même ton. « Dans peu de jours, il ne sera bon qu’à être tué. Mais il est amoureux de vos dents blanches et ne veut être mangé que par vous. Venez, que nous puissions vous offrir le mets d’Eumée, les festins du divin porcher... Je souhaite qu’il vous soit resté quelque pointe de cet effroyable appétit. » Ces gaîtés bourguignonnes lui servaient de transition pour gronder sa jeune amie, qui lisait, malgré ses défenses, les journaux hostiles à Chateaubriand et qui s’en émouvait : « Vous voulez dévorer et l’on vous a mordue; vous savez bien? Le Journal de Paris, je suis fâché que vous l’ayez su, et que vous l’ayez senti. Cela n’en valait pas la peine. Vous devriez ne lire aucun journal, tant que vous serez en travail. Pour Dieu, fermez à tous ces vents folliculaires les fenêtres de votre tête, ou ils souffleront votre chandelle. Elle se rallumera d’elle-même avec le temps, il est vrai, mais ce sera du temps perdu et du bon ouvrage de moins, »

Ils travaillèrent si bien qu’à la fin novembre le Génie du christianisme était achevé. L’épisode de René fut retouché. S’il n’avait pas de date, nous y trouverions dans deux phrases les traces du séjour à

  1. Considérations sur la révolution française, par Mme de Staël.
  2. Lettre de Mme de Beaumont du 18 septembre 1801.