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de la beauté de la religion chrétienne à ceux qui ne voulaient pas encore entendre parler de ses dogmes[1].

Il a raconté bien avant ses Mémoires, dans une curieuse préface, que ses sentimens religieux n’avaient pas toujours été ce qu’ils étaient : « Je pourrais en rejeter la faute sur ma jeunesse, sur le délire des temps, sur les sociétés que je fréquentais; mais j’aime mieux me condamner. Je dirai seulement les moyens dont la Providence s’est servie pour me rappeler à mes devoirs. » Sa mère, jetée à soixante-douze ans dans les cachots, avait vu périr une partie de ses enfans. Elle expirait sur un grabat où ses malheurs l’avaient reléguée. Elle avait chargé, en mourant, une de ses filles, Mme de Farcy, de rappeler son frère à la religion dans laquelle il avait été élevé. Sa sœur lui manda le dernier vœu de leur mère. Quand cette lettre lui parvint à Londres, Mme de Farcy elle-même n’existait plus ; elle était morte des suites de son emprisonnement, « Ces deux voix sorties du tombeau m’ont frappé. Je suis devenu chrétien. Je n’ai point cédé, j’en conviens, à de grandes lumières surnaturelles : ma conversion est sortie du cœur; j’ai pleuré et j’ai cru. » Tel était l’état d’esprit dans lequel il se trouvait en Angleterre lorsqu’il composa le Génie du christianisme ; il avait livré à l’impression le premier volume. Mais Fontanes et Joubert le déterminèrent, rentré de l’émigration, à refondre le sujet en entier; c’était aussi l’opinion de Mme de Beaumont. Si elle était trop française pour être mystique, elle était trop intelligente pour ne pas comprendre l’importance sociale d’un pareil ouvrage. Son changement de position, plus de bonheur, et le spectacle de la société française renaissante, avaient d’ailleurs fait naître chez Chateaubriand des idées nouvelles. Enfin (et le mot est de lui) on ne peut écrire avec mesure que dans sa patrie.

Il était en veine de travail ; les événemens conspiraient pour donner de l’actualité à son ouvrage. Les astres étaient favorables. Mais il fallait près de Paris un coin paisible, loin des importuns ; il fallait le silence et la fidélité de l’ombre. Alors l’inspiration, après la lecture des livres essentiels à consulter, reviendrait vite. Cette solitude, Mme de Beaumont la trouva, et elle la partagea avec René.


III.

Elle loua à Savigny, pour sept mois, une maison appartenant à M. Pigeau. Cette maison a passé ensuite entre les mains de M. Roret, l’éditeur des Manuels. Située à l’entrée du village du

  1. Première édition du Génie du christianisme; Migneret, 1802.