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fondu tous les rapports et déplacé toutes les conditions de l’équilibre universel, l’Europe a été conduite à cette extrémité où l’on croit aisément à tous les conflits parce qu’on les craint, parce qu’on sent qu’ils sont possibles. Ce n’est point sans doute un motif pour que ces conflits éclatent nécessairement de sitôt, et qu’il y ait à prévoir la guerre au mois d’avril, comme on a pu le penser. Les intérêts, les besoins, les désirs des peuples conspirent heureusement pour la paix, et ils sont une garantie au moins aussi efficace que toutes les combinaisons de la diplomatie, que toutes les alliances artificielles qu’on s’efforce de nouer. Seulement, il faut l’avouer, dans la situation créée à l’Orient comme à l’Occident, il y a un certain nombre de ces allumettes dont parlait autrefois lord Palmerston et qu’on fera bien de surveiller. L’Autriche, quant à elle, ne souhaite que la paix, cela n’est point douteux, elle n’est entrée dans l’alliance allemande qu’avec une pensée de défense, et elle n’a que des préoccupations pacifiques. Elle l’a déclaré plus d’une fois ; son ministre des affaires étrangères, le comte Kalnoky, l’a répété encore pour elle l’autre jour. Soit ! Qui peut cependant lui assurer que, dans la position délicate où elle s’est placée, en dépit de toutes les précautions qu’elle tâche de prendre, elle ne sera pas entraînée, un jour ou l’autre, à des rivalités à main armée, à des aventures qui dépasseront ses propres prévisions aussi bien que ses vrais intérêts ? Qui peut lui garantir, de plus, que le jour où elle aurait à invoquer cette alliance dont elle se prévaut aujourd’hui, dont elle croit se faire une force et un bouclier, elle n’ciurait pas à la payer de ce qui lui reste de puissance en Allemagne ? L’Autriche, il est vrai, peut dire qu’elle ne pouvait pas faire autrement, qu’elle a subi une nécessité de situation en souscrivant à un pacte qui lui a été proposé il y a quelques années, qu’elle a renouvelé au courant du dernier automne avec l’Allemagne. C’est à elle maintenant de se détendre contre les conséquences de la politique qu’elle a acceptée, qu’elle s’est appropriée. Ce qu’on ne voit pas bien, dans tous les cas, c’est l’intérêt qu’auraient d’autres peuples à chercher une place dans cette alliance austro-allemande, à se faire les complices ou les auxiliaires d’une combinaison dont on ne cesse de proclamer la signification pacifique, qui peut bien plutôt conduire à de redoutables conflits, peui-être à une subversion totale de l’Europe.

L’Espagne a été un moment tentée d’aller chercher un rôle en Allemagne, elle a été promptement désillusionnée. Le dernier voyage du roi Alphonse lui a prouvé suffisamment qu’elle n’avait rien à voir, rien à gagner dans toutes ces combinaisons austro-allemandes, que ce qu’elle avait de mieux à faire était de rester chez elle, de s’occuper de ses propres intérêts. Ce voyage du roi Alphonse n’a eu d’autre résultat que d’être l’occasion de ces malheureuses scènes de Paris qui