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Le dernier automne n’a point été en effet sans laisser des nuages sur les affaires du monde. Voyages princiers et ministériels, visites de toute sorte de rois à l’empereur d’Allemagne ou de l’empereur de Russie à la cour de Copenhague, entrevues des fortes têtes de la diplomatie, polémiques retentissantes comme des trompettes guerrières, menaces et défis partant de Berlin à l’adresse des uns ou des autres, tout s’est réuni pour donner à penser. Ce mouvement inusité de politiques affairés, occupés à chercher des alliances, n’a pas paru de bon augure, et il y a eu un instant où les esprits craintifs ont pu voir en tout cela l’inquiétant préliminaire de complications nouvelles et infaillibles, si ce n’est pour demain, du moins pour le prochain printemps. Il y aurait évidemment trop d’optimisme ou d’ingénuité à ne rien voir que d’insignifiant ou d’inoffensif dans tous ces mouvemens et tous ces incidens qui se sont succédé, qui ont tenu en éveil la curiosité universelle pendant ces derniers mois. Il y aurait peut-être aussi quelque exagération à voir tout se préparer dès ce moment pour un conflit à prochaine échéance ; ce serait ajouter les dangers d’une inutile panique aux difficultés d’une situation déjà assez compliquée. Par le fait, les conditions générales du continent n’ont pas changé autant qu’on le croit après toutes ces rencontres princières et diplomatiques, après ces promenades auxquelles vient s’ajouter encore aujourd’hui le voyage d’un des principaux chefs militaires de la Turquie, de Mouktar-Pacha, à Vienne et à Berlin. L’Europe reste ce qu’elle était avec ses discordances et ses malaises, avec ses antagonistes profonds contenus par un immense désir de paix qui se fait jour en toute circonstance et à tout propos. L’empereur d’Autriche, qui a eu récemment à prononcer un discours officiel, a parlé en souverain vivement préoccupé de maintenir la paix, d’éviter toute occasion de conflit. Le ministre des affaires étrangères de l’empereur François-Joseph, le comte Kalnoky, a eu ces jours derniers à s’expliquer devant les délégations réunies à Vienne, et il a témoigné une certaine confiance dans « une longue durée de la paix. » Il n’a point hésité à déclarer au sujet de la Russie, — et c’est là le point délicat, — que les rapports personnels des deux souverains sont toujours pleins de cordialité, que les relations des deux gouvernemens sont « tout à fait normales, » que, s’il y a dans la presse russe une certaine animosité contre l’Autriche, cette irritation est très restreinte et ne tardera pas à s’apaiser. Voilà certes des déclarations qui paraissent assez rassurantes et qui sembleraient faites pour dissiper ou atténuer la crainte d’un prochain conflit de ce côté. Le désir de la paix est du moins ici très évident, et il est sincère, puisque le cabinet de Vienne est le premier intéressé à ne pas aller au devant de conflagrations nouvelles.

Est-ce à dire que des déclarations officielles soient le dernier mot