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d’enthousiasme, » et se flatte « d’avoir reconstitué dans ce pays toutes les forces vives de sa puissance économique, » on ne sait pas bien ce qu’il veut dire, tant ce langage semble étrange en présence de la réalité des choses. La question ne paraît pas précisément se poser en ces termes flatteurs entre la commission du budget et M. le ministre des finances, occupés depuis quelques jours à chercher les moyens de suffire à une situation devenue fort difficile, à poursuivre un équilibre financier toujours fuyant. Ce n’est pas d’aujourd’hui, sans doute, que le mal existe. Depuis quelques années, les esprits prévoyans l’ont signalé ; ils n’ont cessé de prévenir les républicains du gouvernement et de la majorité que, sur le chemin où ils marchaient d’un si grand pas, ils allaient droit à quelque crise. On n’a voulu rien entendre et aujourd’hui la vérité est là, aussi indéniable qu’inoportune : c’est la série des déficits. Déficit pour 1882, déficit pour 1883, déficit prévu pour 1884 !

Ce qu’il y a de singulier, c’est que les optimistes, qui ne veulent jamais s’être trompés, ne trouvent rien de mieux maintenant que de mettre les diflicultés et les déceptions sur le compte du système d’évaluation des recettes que M. Léon Say introduisait l’an dernier dans son budget. M. Léon Say avait imaginé ses combinaisons tout simplement pour établir une sorte de frein, pour laisser moins de place aux illusions, pour montrer ce qu’il y avait de chimérique ou de spécieux dans les plus values dont on parlait sans cesse, qu’on s’accoutumait à croire indéfinies et inépuisables. Quel que soit d’ailleurs le système d’évaluation préventive, il est bien clair qu’il ne change rien au bout du compte, que les recettes réelles restent ce qu’elles peuvent, ce que les circonstances les font le plus souvent. La cause des difficultés d’aujourd’hui n’est point évidemment là ; elle est dans un phénomène sensible, frappant : c’est que les recettes ne se développent que lentement et souvent se ralentissent, tandis que les dépenses courent à pas précipités sans s’arrêter jamais. Ces plus-values qui ont existé un moment, en effet, qui étaient le résultat d’une administration jusque-là prévoyante, on a cru qu’elles ne finiraient pas, qu’elles suffiraient à tout, et on s’est mis à dépenser sans mesure. Il fallait se populariser par les libéralités ! On a augmenté les traitemens et les pensions. On a prodigué les millions pour les écoles nouvelles comme pour les travaux. On ne s’est pas contenté des ressources ordinaires, on a multiplié les emprunts, on a mis le crédit en réquisition sous toutes les formes. Chose étrange ! on a emprunté depuis quelques années en pleine paix plus qu’on n’avait été oblige d’emprunter pour payer les frais d’une guerre désastreuse. C’est là ce que M. le président du conseil appelle « reconstituer la puissance économique du pays ! » Le résultat a été que l’équilibre n’a pas tardé à se rompre, et il faut aujourd hui songer à le rétablir. C’est là justement la question qui s’agite, sur laquelle la