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a l’entente du théâtre, il occupe la scène, les récitatifs ont grand air, la mélodie abonde, mais ce qui manque, c’est le développement harmonique : à commencer par l’ouverture, qui débute par un thème de huit mesures, capable de fournir un morceau tout entier et dont le musicien tire à peine quarante mesures. On pense alors involontairement à l’ouverture du Tannhäuser, faite avec le seul motif du Chœur des pèlerins qui, cependant, comme invention, vaudrait peut-être moins que la mélodie de Mermet.

L’exécution de Roland à Roncevaux, sans être excellente, dépasse de beaucoup ce qu’on pouvait attendre d’une troupe forcément improvisée, — l’orchestre d’abord, capable de défier toutes les comparaisons, ensuite les chœurs, qui marchent très convenablement. Quant aux chanteurs, ceux de l’Opéra n’avaient point, que je sache, laissé des souvenirs tant redoutables pour les nouveaux. Gueymard, qui créa le rôle à l’Académie impériale, était un ténor d’encolure athlétique et d’une prestance vocale à l’avenant, mais point musicien et sans nuances. D’où il suit que tous les passages de tendresse restaient dans l’ombre. A voir M. Bouvière, très jeune et d’un physique agréable, on aurait supposé que nous allions tomber dans l’excès contraire ; nullement, c’est toujours la force qui persiste. La voix est gutturale, mais solide; toutefois je conseille au chanteur de se défier de son si naturel dans la fameuse phrase : Exterminons les Sarrasins! Ce cri-là, trop souvent poussé, aurait bientôt fait de l’exterminer lui-même. En revanche, la personne qui joue Aide est une artiste en pleine possession de son talent. Ancienne élève du Conservatoire, premier prix de chant et de piano, connue en Italie, Mme Boidin-Puisais se sert en musicienne d’une voix très sympathique, et l’archevêque Turpin trouve dans M. Hourdin, avec l’imposante figure de l’homme d’église guerroyeur, un magnifique organe de basse-taille; c’est une vraie bénédiction de l’entendre donner son un bémol grave.


Linné ou Darwin, la bataille qui se livre entre ces deux pôles est universelle, et jusque dans la musique elle devait avoir ses contre-coups. Que dirons-nous d’un musicien venant appliquer à son art la théorie de la transmutation ? Il se peut que ce ne soit là qu’un simple jeu d’esprit; mais, comme nous, bien des gens s’y laisseront prendre, secouant le vieux préjugé qui consiste à nous faire toujours regarder en arrière du côté de certaines périodes classiques, qui ne reviendront plus, et à ne nous montrer dans le présent que décadence et que ténèbres dans l’avenir. S’il est vrai que l’on doive ramener à un petit nombre d’organismes la formation lente et progressive de notre règne animal et végétal, qui nous empêche d’étudier d’après les mêmes principes l’histoire de notre culture intellectuelle? La besogne en sera