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de son musical ; de là il conclut que cette sensation perceptible à la conscience est formée de deux sensations dont chacune, prise à part, est imperceptible à la conscience, et que, par conséquent, deux sensations inconscientes forment une sensation consciente. — Mais nous nous retrouvons toujours devant la même conclusion précipitée. M. Taine, pas plus que M. Helmholtz, ne peut conclure légitimement, de ce qu’un son est composé d’une foule de notes, que toutes ces notes soient actuellement présentes à l’esprit d’une façon inconsciente. D’abord il est certain qu’elles ne sont pas présentes à part, car, pour qu’un état d’esprit soit séparé et distingué des autres, il y a une condition nécessaire : l’absence au même moment d’autres états propres à se mêler avec le premier. En outre, il n’est pas certain que les notes soient présentes d’aucune manière. Supposons un voyageur dans une voiture fermée ; si un cheval ne suffit pas à la traîner, le voyageur ne s’apercevra du mouvement de la voiture que quand il y aura deux chevaux ; il n’aura pas pour cela la représentation inconsciente de chaque cheval ; on peut sentir un effet final sans en sentir toutes les causes. Nous conclurons donc que M. Taine transporte indûment dans le « mental, » sous forme inconsciente, les causes extérieures et les élémens physiques de nos sensations[1].


IV.

Des sensations et perceptions passons aux raisonnemens inconsciens. Selon Helmholtz, Wundt, Lange et M. Taine[2], il y a dans la perception extérieure des « actes d’inhérence » dont nous ne nous doutons pas, des jugemens et raisonnemens dont les résultats seuls apparaissent à la conscience. Telles sont les conclusions si familières que nous tirons quant à la distance et à la grandeur des objets ; telles sont aussi les illusions d’optique, qui sont des illusions d’inférence inconsciente (Unbewusste Schlüsse).

Lange a invoqué plusieurs expériences curieuses en faveur de ces

  1. De même, on ne peut conclure, avec M. Colsenet, que l’oreille, selon le mot de Leibnitz, applique d’une façon inconsciente le calcul et les lois de l’harmonie parce « qu’elle ne tolère les sons simultanés ou successifs qu’à la condition que les nombres de leurs vibrations soient entre eux dans des rapports simples. » Au lieu de voir là une pensée inconsciente, il y faut voir le résultat mécanique du fonctionnement nerveux : l’harmonie des sons rend ce fonctionnement facile sans produire l’épuisement nerveux ; la discordance des sons, au contraire, est la cause d’un trouble et d’une altération dans le tissu nerveux par des chocs trop violens ; de là, dans un cas, le plaisir, dans l’autre un déplaisir.
  2. M. Colsenet le suit sur ce point.